La  vallée  du  Cruou,
vallée de la discorde !
un passage très convoité !

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Cruou



Cruou   

Cruou
▲ clic ▲ Deux images, et deux réalités difficiles à concilier,
beauté de la vallée, richesse des coteaux, et voie ferrée industrielle


▼ colorisation Algorithmia, Berkeley
Cruou

Cette page est dédiée à la vallée du Cruou : tout en haut, la mine de fer, à Ferals, que l'on persiste à appeler mine de Mondalazac, et tout en bas, à 7 kilomètres, Marcillac, site de la gare minière. Une belle vallée et un maillon essentiel de la Route du Fer : ici, de 1893 à1910, les convois de minerai vont se faire entendre...



des textes
DR, JR et col ANJM

archives

clic : l'essentiel de cette page, pdf

clic : texte complet requête 6926, tribunal Villefranche, pdf

► clic : rapport agent voyer d'arrondissement, 1891, projet de voie, pdf




   
Cruou
La voie ferrée de la discorde :
 vignes du Cruou et minerai, une réelle opposition
Jean Rudelle, 2018
texte, infographies et illustrations de l’auteur
sauf mentions contraires

Remerciements
à Anne-Marie Jaudon-Merino pour la communication d’archives familiales (documents ici cotés AMJM)

à Sophie  Fraissine pour la découverte de ces pépites.



Dans les extraits et autres citations, nous avons conservé l’orthographe d’origine.

Pour la plupart des images, un clic et une meilleure résolution s'affichera.

Les cartes faisant mention de la voie minière du Cruou sont rarissimes. Celle-ci, de 1929, mérite notre attention.
Publiée pour un livret de tourisme, le graphisme de la voie minière depuis Decazeville semble différent pour la section
 Marcillac Les Espeyroux, malgré un écartement identique de 0,66 m.

voir aussi dans le menu, chapitre 8, page cartes, carte 93

carte

Cruou
 
▲ sur les versants, les vignes du Cruou
▼ 1905, les  rails   toujours d'actualité...

mondalazac


1891, 1904 : une bonne douzaine d’années de conflits ! A la fin du XIXe siècle, la belle vallée du Cruou se remet d’une visite du phylloxera. Cet insecte piqueur ne fait pas beaucoup de bruit, mais ses ravages sont bien réels. Et un autre imprévu s’annonce, visite non souhaitée, un chemin de fer ! Une voie ferrée ? Oui, une vraie avec ses trains, ses rails, son bruit, ses trépidations, bref tout ce que le vigneron du Cruou ne veut pas voir au bas de ses vignes !

mur d'images
DR, col ANJM
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Cruou
Cruou
Cruou

Cruou

Champêtre, préservée, tranquille…

La vallée du Cruou n’est pas longue, 7 à 8 km tout au plus, mais très encaissée et relativement rectiligne. Taillée dans les cailloux du causse comtal, sur sa bordure nord, elle donne passage au Cruou, modeste ruisseau, né vers 500 m d’altitude, et qui rejoint le Créneau à Marcillac. Ici l’altitude n’est plus que de 280 m. On a donc compris que la pente est raide ! Les flancs de la vallée se dressent au sud et au nord et les profils en long ou en travers ne militent pas particulièrement pour établir une voie ferrée. Le versant exposé au sud est évidemment le terrain de jeu préféré des propriétaires, abandonnant le versant exposé au nord à la forêt. De tout temps, le versant ensoleillé connaît une activité soutenue. Les vignes sont là depuis des siècles, les cartes peuvent témoigner s’il le fallait, et un train ne peut pas remettre en cause ce patrimoine, pense-t-on.

Cruou Cassini

▲    Carte de Cassini, extrait : exemplaire dit Hauslab-Liechtenstein, Library of Congress, Rodez feuille 16.


Le travail original des Cassini n'était pas coloré et celle-ci est donc une version colorisée de ce travail fameux. Il existe d'autres versions couleurs de cette même carte. La feuille est celle de Rodez, n° 16, levée entre 1766 et 1768, et publiée vers 1781..


Avec les vignes, le Cruou héberge des propriétés bâties remarquables : importantes pour certaines fermes, ou très cossues pour d’autres. La bourgeoisie de Rodez fréquente la vallée et tient à se montrer. Que ce soit donc pour l’exploitation des ressources ou pour une villégiature estivale, le Cruou ne souhaite pas trop connaître un passage intensif. Et d’ailleurs cette vallée est un bout du monde. La route, c'est à dire le chemin, qui y conduit depuis Marcillac ne va pas très loin, vers Cruou haut. Seuls quelques mauvais chemins étroits permettent ensuite de rejoindre le causse. Et c’est toute cette vie champêtre que le minerai de fer veut remettre en cause ?

Cruou
▲ Atlas paroissial Mgr Bourret, vers 1880, paroisse de Mondalazac. Archives diocésaines, Rodez


Ferals, le hameau au départ de la vallée, sur l’extrême limite du causse est le siège depuis plusieurs décennies de la mine de minerai de fer. Cette exploitation, la plus importante du causse, appartient depuis 1892 à Commentry-Fourchambault. La société en place à Decazeville active les hauts-fourneaux, ayant repris les actifs et passifs de la Société nouvelle des houillères et fonderies. Cette dernière, en 1865, prenait la place de la toute première société, celle du duc Decazes, née en 1826, et en état de faillite. Commentry-Fourchambault ajoutera Decazeville à sa raison sociale. Si Commentry va donc être un acteur de la discorde, la société ne fait que poursuivre ici un projet précédent qui n’est pas de son initiative, la voie du Cruou étant déjà dans les classeurs.
 
Cruou           
▲le Cruou modeste ruisseau, mais ses crues peuvent être importantes !

Cruou

▲Atlas cantonal, Lacaze Clergue, vers 1860

Cruou
 
▲    Coupe et profil en long difficiles pour une voie ferrée, surtout dans la partie haute de la vallée

Pourquoi une voie ferrée ?

L’analyse de la situation est simple : le minerai de fer est extrait sur le causse, à Ferals. Il doit rejoindre, 7 ou 8 km plus loin et 250 m plus bas, la gare minière de Marcillac, avant un départ par voie ferrée minière vers Decazeville. Cette voie minière privée existe depuis 1856. C’est celle qui emprunte les deux ouvrages remarquables du parcours, le Pont Rouge à Marcillac et le fameux pont Malakoff, dans la vallée de l’Ady. Mais faire descendre 100 à 200 tonnes de minerai quotidiennement est un exercice très délicat : les chemins du causse ne permettent que difficilement le passage des charrois, surtout en hiver. Les conflits sont nombreux entre transporteurs, administration et la Compagnie. Les besoins de minerai en Cruou JDAaugmentation vers 1890 nécessitent un tout autre moyen de transport. Et ce moyen ce sera donc une voie ferrée.


◄ Journal de l’Aveyron
1891, le projet




La vallée existe, tracée presque pour cela, de Ferals à Marcillac. Il suffit de viabiliser correctement la partie haute pour permettre la liaison. Le projet fait donc très naturellement son apparition en 1891. Mais plusieurs années auparavant, Decazeville avait insisté pour que la route 21  débouche à Ferals, en 1887 par exemple. Le Journal de l’Aveyron s’était fait l’écho de ces demandes. Mais on notera que nulle voie ferrée n’était alors annoncée… (par prudence ?)

 1886

1891, le projet


Le 15 juillet 1891 une demande d’établissement de voie ferrée en accotement est présentée au préfet par M. Gastambide, administrateur de la Société des Houillères et Fonderies de l’Aveyron. Six mois plus tard, le 17 décembre 1891, l’agent-voyer d’arrondissement, Monsieur Albrespy, présente son rapport, 7 pages, qui sera proposé après visa au préfet le 18 décembre par l’agent-voyer en chef de Rodez. Son intitulé mentionne « l’autorisation d’établir sur l’accotement du chemin de grande communication N° 21 (embranchement) une petite voie ferrée de 0m,66, pour y faire circuler des wagonnets pour le transport des minerais de fer… ». M. Gastambide « a fait connaître son intention de s’entendre avec le service vicinal pour l’exécution des travaux d’élargissement nécessaires dans les parties du chemin où la largeur actuelle est insuffisante … ».

Dans son rapport l’agent-voyer évoque la somme de 2000 francs, subvention spéciale payée par Decazeville pour l’entretien suite à dégradations – « ornières profondes » - subvention qui s’ajoute à la subvention industrielle et qui sont insuffisantes pour un entretien normal. « En supprimant ce transport par voitures on rentrerait ainsi dans les conditions d’un entretien ordinaire ».
Le projet « présente les travaux à exécuter, sur une longueur de 4.299m,34, pour régulariser le profil longitudinal du chemin et donner à celui-ci une largeur uniforme de 6 mètres entre fossés ». Après un rapide bilan financier, favorable « pour le département, l’Etat et les deux communes de Mouret et Marcillac », le rapport précise « que l’établissement et l’exploitation dans les conditions indiquées ci-après de cette petite voie ferrée…ne présentera aucun danger ni aucun inconvénient pour la circulation ». Suivent les vingt articles proposés au préfet pour son arrêté.

Le dernier paragraphe du rapport ajoute enfin la mention suivante : « nous ne voyons aucun inconvénient à ce que l’autorisation demandée soit accordée sans attendre l’approbation de ce projet » (par la Compagnie). En faisant dès 1892 ces travaux, la Compagnie se « libèrerait de la subvention industrielle de 1890 ». Il faut donc bien comprendre que si Decazeville a contribué au financement des travaux, ce n’était aussi que par l’utilisation des subventions industrielles que la Compagnie devait en tout état de cause verser.

wagonnet Cruou◄ Wagonnet du Cruou. Son gabarit est semblable à celui des wagons miniers qui circulent entre Marcillac et Decazeville.

 Un wagon porte 4800 kg de minerai et 115 tonnes arrivent ainsi chaque jour à Marcillac.
Plan, col ANMJ






Sans entrer ici  dans trop de détails, le projet s’étend sur une longueur de 7.310 m. La voie de 66 cm entre rails, posée à gauche -en remontant la vallée- du chemin 21, a son axe distant de 2,62 m de l’axe du chemin. Cette disposition fait que l’axe du rail extérieur est exactement à 2,975 m de l’axe du chemin, donc au plus près du bord, avant le fossé. On verra par la suite les conséquences de cette disposition. « Posée sans saillie ni dépression, la voie n’altèrera en rien le profil longitudinal du chemin ». Au droit des portes et autres passages, « les rails seront compris dans un pavage… ».

voie Cruou    
       ▲pavage entre rails au droit des issues.
Cette disposition, assez logique et utile, sera pourtant source de difficultés car un réel obstacle à l’écoulement normal des eaux.

Plan, col ANMJ


Pour son exploitation, « le nombre de wagons composant un train sera de douze au maximum (paragraphe 10), et tous les wagons, sans exception, seront munis de freins (paragraphe 13) …Les chevaux seront toujours dans la voie et au-devant du train, tant à la descente qu’à la montée » (14). D’autres dispositions règlent le stationnement et l’éclairage des trains.

Le rapport de M. Albrespy, motivé et précis, est donc visé par l’agent-voyer en chef et transmis au préfet. Et, assez étrangement, il va être absent de l’actualité pour près d’un an et demi. Il est vrai que quelques formalités sont nécessaires avant tout travail de terrain : accord de la Compagnie et transmission aux élus et administration. Lors de la réunion du Conseil Général d’avril 1893, le conseiller Pradié du canton de CruouMarcillac – le maire est alors M. Frédéric Mérican*  - interroge le préfet sur cette lenteur qui déclare attendre les suites d’une réclamation de la commune de Marcillac. Il est aussi expressément dit que la traction sera animale. Ce point particulier est important. Un courrier de l’ingénieur en chef des ponts et chaussées, Arthur Labbaye, avant une visite des travaux, le confirme à Henry Jaudon, propriétaire au Cruou.

* Monsieur Mérican est le beau-frère de M. Perrot, agent-comptable de la compagnie de Decazeville, un détail mentionné par H. Jaudon dans une note de travail. Ce détail peut être une explication du soutien (très modéré) du maire à la cause des vignerons du Cruou d'où une lenteur  administrative pour ne pas froisser Commentry…


Dès les semaines suivantes les travaux sont en cours, ou se poursuivent. Et jusqu’à présent nulle discorde importante ne vient contrarier l’avancement du projet.

Le 2 juin 1893 le préfet de l’Aveyron signe l’arrêté (n° 3983) autorisant l’établissement de la « petite voie ferrée ». Le texte précise l’engagement de Commentry de prendre en charge « tous les frais nécessaires », engagement pris le 30 décembre 1892. La déclaration d’utilité publique est prononcée, à condition que « la traction n’y serait faite que par des animaux ». Le cahier des charges compris dans le texte reprend les dispositions du rapport de 1892, comme l’obligation de ballast dans l’entre-voie, la durée maximale de stationnement d’un train sur la voie, une heure, ou l’entretien voie et fossés à charge de la Compagnie, « à perpétuité », est-il écrit.

Cruou


Modifications, contestations



L’apparition très concrète des rails dans la vallée va évidemment permettre à des contestations de se faire jour. Le 25 août 1893 l’agent-voyer inspecteur Delpous propose au préfet une modification de son arrêté. La commune de Marcillac a demandé le 20 août que sur sa commune, la voie soit établie sur l’accotement droit, et non gauche, « afin de permettre aux propriétaires riverains de continuer à adosser leurs chars aux talus des vignes et de traiter amiablement avec un ou plusieurs d’entre eux qui font de cette modification la condition absolue de la cession volontaire de leurs terrains ». La présence de gros noyers à droite, en surplomb du chemin, peut également être source de difficultés, mais la proposition n’en fait pas une clause suspensive. Aucune modification n’est proposée sur les communes de Mouret et Salles-la-Source.

Le 26 août 1893 l’arrêté 7087 modifie comme demandé les articles 1 et 8 du texte du 2 juin 1893.
L’année 1894 débute mal pour la tranquille vallée du Cruou. La voie ferrée pose quelques problèmes aux riverains. Un rapport de quatre pages de M. Delpous, daté du 3 janvier, fait un constat : ses démarches pour concilier les points de vue du conseiller général Pradié et de Commentry n’ont pas réussi. Le conseiller avait écrit au préfet le 7 novembre précédent et la Compagnie répondait le 24 novembre suivant. Le changement de sens, avec circulation à droite est un danger. La manœuvre des freins des wagonnets s’avère délicate* et la sûreté des « freinteurs » (sic) est en cause. Après exposé de plusieurs motifs il écrit : « la voie ferrée placée sur la rive droite du chemin présenterait pour la circulation plus d’embarras et de dangers que placée sur la rive gauche  » …Le problème n’était pas identifiable auparavant car les dispositions techniques des wagonnets n’étaient pas connues. Il propose donc de rapporter les modifications du 26 août et de revenir au texte initial du 2 juin.

* Il semble bien que la raison principale de circuler partout à gauche était un motif d’économie, « pour ne pas changer les wagons munis de freins fonctionnant à gauche ». Remarque portée par H. Jaudon dans une note.


Jaudon Cruou 
▲ à droite ou à gauche ?

Ces modifications et annulations successives ont peut-être eu un air de désordre. Et pour ajouter une difficulté à une autre, pour la première fois, un tout autre sujet apparaît. « Nous ne discuterons pas non plus si le passage des convois contre les caves des habitants de la vallée du Cruou sera une cause de trouble pour le vin qu’elles pourront contenir et le feront tourner à l’aigre. Cette allégation est étrangère à nos attributions …Nous ne nous opposons pas cependant à ce qu’en regard du château de M. Jaudon, la petite voie ferrée soit transportée sur la rive droite du chemin…puisque dans cette partie, il ne sera pas nécessaire de manœuvrer les freins. »


Le 6 janvier, reconnaissant le bienfondé des réclamations de Commentry, le préfet donne suite en rapportant, arrêté 8018, son arrêté du 26 août 1893. La voie passera  -reviendra- donc à gauche ! « Toutefois la voie ferrée pourra être transportée sur le coté droit du chemin lorsqu’elle gênera trop l’accès des habitations riveraines placées sur le coté gauche. En ce cas des autorisations spéciales seront délivrées à la Compagnie ». Ce paragraphe de l’arrêté répond évidemment à la demande de M. Jaudon, mais la généralise éventuellement à d’autres demandeurs.  On notera aussi que Monsieur le préfet, bien évidemment, ne prend nullement position sur la question du trouble des vins ! La question n’entre pas officiellement dans ses compétences administratives …

Fin janvier, on ne peut encore évoquer une discorde, mais les difficultés se précisent. Le 31 janvier, M. Jaudon reçoit une lettre de dix propriétaires qui lui proposent de rédiger une pétition contre la Compagnie, « à transmettre à sa connaissance… ». Ils font état « des grands préjudices qu’elle occasionne ». Et les détails ne manquent pas : « en novembre et décembre il a échappé des caisses pleines à quatre reprises, dont deux…ont déraillé et sont venues se briser devant notre portail… ». « Le 24 janvier il en est descendu une autre pleine lancée à toute vitesse qui une seconde de plus tuait le petit Hot, âgé de 7 ans…
Le convoi qui descend quatre fois par jour lourdement chargé de quatre, six à huit caisses, grande vitesse et sans chevaux ; on prétend que les conducteurs font cela de par eux-mêmes depuis environ un mois. Cela donne une telle secousse que les maisons tremblent et dans les caves on croirait à un tremblement de terre ; de telle sorte que dans les meilleures caves le vin est tourné et trouble… La route n’est plus entretenue vu qu’il n’y a plus de cantonnier… ».


La situation semble donc échapper totalement à la Compagnie. Evoquer des convois sans chevaux est parfaitement effrayant ! La missive se termine par les noms des propriétaires, « connaissant votre généreuse bonté, nous venons à vous en toute confiance… ».

Pour résumer : il y a danger, le vin tourne, les accidents nombreux et l’entretien est inexistant !

On aura compris que dorénavant les motifs de discorde et d’opposition sont parfaitement établis. Il y a en sus des roues de char cassées dans la voie, mais aussi des situations plus graves.
« Un wagon a échappé chargé de débris de terre et de pierres d’environ un kilomètre à grande vitesse… (17 septembre 1893)
Un autre wagon chargé de charbon a échappé à la gare le 9 décembre…est venu se briser sur le portail…a manqué à tuer mes bestiaux, moi et ma famille, venant de la foire de Marcillac
Le 24 janvier 1894…trois échappements...
Le 29 décembre 1893 un porc a engagé une jambe dans le rail et la cassé (la bête a due être égorgée sur place)
Ma maison se trouve la plus rapprochée de la voie et que cest hiver je suis été malade, qu’il a été reconnu que ma maladie s’est prolongée par suite du grand bruit vu que je tremble fort dans mon lit quand le convoi passe.
Un grand préjudice pour rentrer ou sortir mes fourrages. Un char est obligé de se placer sur la voie et quand le convoi passe il est obligé de se retirer à moitié chargé…
Echappement de trois wagonnets à 2 reprises chargés partant de la carrière à Frontignan sur le parcours de 1 kilomètre se sont déraillé… ».

Jaudon buste

Dès ses débuts d’exploitation, la voie ferrée du Cruou va donc créer beaucoup de difficultés pour les riverains et bien évidemment pour Commentry. Le choix des plaignants de faire appel à Henry Jaudon est assez naturel : propriétaire dans la vallée, il connaît parfaitement ce pays. Ses compétences juridiques en font, de plus, un parfait faire-valoir auprès de Commentry.


Henry Jaudon, Buste par Denys Puech
In Denys PUECH, 1854-1942, Musée Denys Puech, Rodez, 1993




Monsieur Jaudon va répondre à la demande et son implication sera forte !

Jaudon
Henry Jaudon n’est pas inconnu sur la Route du fer.

Le 16 septembre 1897, alors conseiller général du canton de Marcillac, il est l’un des invités d’Elie Cabrol pour la pose de la plaque de fonte sur le viaduc qui devait abandonner son nom de Malakoff pour François Cabrol. Il a, comme les autres présents, signé le parchemin .





rue Jaudon
Nous n’allons pas ici reprendre le parcours de ce brillant avocat. On pourra par exemple retrouver* son itinéraire jusqu’à la Cour de cassation où il est nommé conseiller en 1914 dans cette biographie. Entré dans la magistrature en février 1880, il a alors 27 ans, il est en 1892 avocat général à la Cour d’appel de Toulouse. En 1901, à 48 ans, il sera procureur de la République, toujours à Toulouse, jusqu’en 1908.


Lorsque les propriétaires du Cruou se tournent vers lui, ils font donc appel à un magistrat expérimenté et reconnu. Pendant une dizaine d’années, Henry Jaudon sera un adversaire redouté pour Commentry. Il va considérablement argumenter sur des points très divers pour faire aboutir ses demandes, touchant autant à la compétence du préfet qu’à la conservation et le murissement des vins. Une rue de Rodez porte son nom.
   
      
 

* www.courdecassation.fr/institution_1/occasion_audiences_59/debut_annee_60/discours_prononces_10745.html


▼    Henry Jaudon, col.  ANJM - (24 septembre 1894)
Le groupe pose. Les rails prouvent que nous sommes bien en vallée du Cruou.


H Jaudon


Le temps de la discorde

Quelques mois, août 1893- janvier 1894, auront donc prouvé aux propriétaires du Cruou que le progrès peut ne pas en être un. Les sceptiques doivent en être convaincus en se garant pour laisser dévaler les convois chargés... Si les arguments de la Compagnie, relayés par l’administration, ne peuvent que difficilement être contestés, et ils ne le furent pas*, l’exécution du projet laisse apparaître pour le moins de nombreux dysfonctionnements.

*
Nous n’avons pas trouvé mention d’oppositions  -nombreuses- préalables à l’établissement de la voie, contrairement à ce que précise H. Jaudon dans plusieurs de ses notes…Le cas échéant, elles se sont donc manifestées discrètement…

Ces approximations dans la conduite des trains sont assez curieuses, car la Compagnie n’est pas particulièrement novice en la matière. Elle exploite des centaines de kilomètres de voie minière à Decazeville, sur ses sites miniers. Depuis 1856 des trains de wagons relient Marcillac à Decazeville et nous n’avons que rarement trouvé l’écho d’une circulation aussi calamiteuse que celle du Cruou. L’éloignement de la mine de fer du causse des bureaux de la Compagnie est peut-être un élément d’explication, plus que la pente ? Loin des yeux, et donc des sanctions, on se laisse aller à certaines facilités, malgré le handicap de la pente, au risque on l’a vu de connaître des déraillements bien trop fréquents.  Nul ne pouvait penser qu’il serait donc vraiment très dangereux pour quiconque de s’aventurer vallée du Cruou en 1894 ! Le risque de très mauvaise rencontre est bien réel. On peut aussi en déduire que cet embranchement de la Route du fer par la route 21 porte en lui, dès ses débuts, les raisons de sa suppression. Une autre page s’écrira en 1910 avec le transporteur aérien, un réel progrès celui-ci. Mais n’anticipons pas ! Le temps est venu de plaider puisque toute conciliation semble bien écartée.

Acte 1 : Conseil de Préfecture

Aujourd’hui disparue, et lointain ancêtre des tribunaux administratifs, cette juridiction était compétente pour les litiges touchant aux travaux publics. Mais Henry Jaudon fera ici erreur : la voie n’est en rien publique. Ce n’est donc pas ici un tramway.

L’avocat général Jaudon va préciser son argumentation tout au long de l’année 1894. Le 21 février 1895 il dépose un mémoire au greffe du Conseil de Préfecture  à effet de condamner la Société Commentry « par suite des dommages causés à sa propriété par l’établissement d’une voie ferrée sur l’accotement gauche du chemin n° 21 ». Dans son mémoire, l’exposant fait état des trépidations et ébranlements causés par les convois, qui provoquent des dommages aux meubles et font tourner le vin dans les caves. L’exhaussement du profil en long est aussi contraire au cahier des charges, comme la distance de 0,30 m entre la paroi du wagon et l’extrémité de la plateforme (1,10 m est règlementaire). Sont aussi en cause le nombre des trains, leur longueur et la fréquence des arrêts devant la propriété. Il évoque les accidents et déraillements, à la descente ou la montée des trains, les saillies des rails et fait part des témoignages reçus. « Une dernière cause de dommages est la diminution de jouissance ou d’agrément occasionnée par la voie ferrée et le passage des convois. Les vignobles de la vallée du Cruou ont toujours été et depuis l’invasion phylloxérique sont exclusivement devenus des propriétés de pur agrément ». Il demande une indemnité de 10000 francs ou à fixer par expert.

Le Conseil de Préfecture va statuer sur le mémoire dans ses séances du 31 juillet et 3 août 1895. M. Jaudon a été entendu, ainsi que M. Alaux avocat de Commentry. La société avait déposé le 11 mars un mémoire en réponse. Le Conseil constate « que le chemin de fer dont il s’agit…est non un tramway mais un chemin de fer industriel…construit en prolongement du chemin de fer industriel à traction par vapeur s’arrêtant à Marcillac ». Constatant que les lois attribuent dans ce cas aux tribunaux civils la compétence pour leurs dommages, il « se déclare incompétent et renvoie M. Jaudon Henri à se pourvoir devant qui de droit ». M. Jaudon avait développé la thèse du tramway. Des dizaines de pages, brouillons et copies de textes, documents présents dans les archives, montrent le travail précis, méticuleux de M. Jaudon. Chaque argument est accompagné de nombreuses notes juridiques. Cette première phase juridique se solde donc par un échec des plaignants. Mais aucun jugement n’a été porté.


Acte 2 : tribunal civil de Villefranche

rapport Cruou 1898Un an plus tard, en août 1896, après avoir admis l’incompétence du Conseil, confirmée par un de ses amis, Henry Jaudon s’adresse au Président du tribunal civil de Villefranche. M. Coucoureux, son avoué, dépose sa requête datée du 30 septembre 1896. Le dossier a désormais une vie propre sous le numéro 6926.

La demande reprend les griefs exposés devant le Conseil de Préfecture : dommages causés par les passages et trépidations, dommages aux récoltes, difficultés d’accès aux propriétés, exhaussement abusif du chemin, circulation des eaux, implantation trop proche des limites, accidents divers, position des rails et enfin « incommodité énorme ». Tout est dit en trois pages de requête. H. Jaudon constate également l’absence de conciliation, mentionne l’urgence, et demande au tribunal une condamnation à 20.000 francs de dommages intérêts.

Le tribunal juge l’affaire le 6 juin 1897. Après exposé des attendus qui reprennent les remarques du plaignant, il demande une expertise pour vérifier « l’existence du préjudice » et fixer « l’indemnité qui peut être due ». Trois experts interviennent, un ingénieur, un professeur d’agriculture et un agronome. Le rapport de ces experts, 36 pages, est enregistré à Villefranche le 12 janvier 1898.

1897, 11 août. Un huissier, à la demande de la société Commentry, se présente au domicile toulousain de M. Jaudon. Il mentionne le jugement interlocutoire du 6 avril 1897 rendu par le tribunal de Villefranche, signifié aux requérants (Commentry) le 18 juin 1897. Convaincus que les demandes de M. Jaudon étaient sans fondements les administrateurs de Decazeville n’ont pas fait appel. Mais ils tiennent par huissier à notifier à M. Jaudon qu’ils pourront, s’ils le jugent utile, relever appel du dit jugement.  En effet, à la suite de ce jugement, les expertises du Cruou avaient donné à M. Jaudon la possibilité d’insinuer que le jugement était définitif, ce que conteste Commentry.

Rapport d’experts, 1897-1898


Rechercher si la voie ferrée a pour résultat :
- de produire des trépidations qui déterminent la casse des vins
- d’empêcher ou de gêner le stationnement normal des charrettes
- de gêner l’utilité normale des issues et vérifier la distance entre le matériel de la  voie et la propriété privée
- de modifier l’écoulement des eaux
-de créer sur le chemin des modifications de niveau gênantes ou dangereuses

Le jugement est signifié aux experts le 17 juin ; ceux-ci seront sur place au Cruou les 3 juillet (audition des témoins), 17 juillet (sans avertir), 14 octobre et 4 novembre.

Lors de leur première visite, ils entendent 9 témoins (un seul propriétaire ne s'était pas associé à l'opposition générale) cités par M. Jaudon. Ces propriétaires  relatent les trépidations, les dangers pour les animaux, les brisures de roues de char, les difficultés pour le déchargement du fourrage, le danger pour les enfants, la conservation du vin impossible depuis 4 ans, - « avant 1893 le vin se conservait bien » -, les wagons chargés détachés des convois et les déraillements, la gêne dans la conduite des fermes, l’écrasement d’un pied de mouton par un wagon… L’ensemble de ces témoignages figure dans le rapport.

Ce 3 juillet, les experts ont pu également assister à un déraillement, évidemment non programmé (!), devant la propriété de M. Jaudon ! Dans une note ultérieure celui-ci pointera en conséquence « les dangers, qui sont tels que les enfants de M. Jaudon  (10 ans-6 ans-4 ans) ne peuvent plus aller du jardin à la prairie sans être accompagnés et qu’il faut tenir la porte du jardin constamment fermée… ».


Les experts définissent ensuite deux maladies du vin, la casse et la tourne, et concluent pour le Cruou à la présence de la maladie de la tourne. « Nous pouvons donc affirmer en toute certitude que les trépidations, quelle que soit leur violence, fussent-elles équivalentes, comme intensité, à une agitation énergique de la futaille, ne sauraient en aucune façon déterminer (souligné dans le rapport) dans un vin la maladie de la tourne… ». L’origine de la maladie ne peut en effet se trouver dans les trépidations. Mais celles-ci peuvent-elle l’aggraver ?
Pour vérifier si les trépidations peuvent favoriser le développement de la maladie, des expériences sont menées. A la distance de 42 m pour la cave de M. Jaudon, les trépidations sont insensibles. « Il n’est pas permis d’attribuer aux trépidations l’influence fâcheuse que leur prête le demandeur ».
Pour éliminer toute incertitude, il y a prise d’échantillons de vin malade, et les deux échantillons de M. Jaudon sont analysés à Bordeaux. Tous les spécialistes confirment que le ferment de la maladie ne peut être dû aux trépidations. Il doit préexister.

Les trépidations ne sont donc en rien responsables. Le phylloxéra présent en 1893, comme la nature des nouveaux plans peuvent expliquer la mauvaise tenue des vins. La déposition d’un témoin dont le vin tourne et dont la cave est à 100 m de la voie montre d’ailleurs bien que les trépidations ne sont en rien responsables de la maladie. Une bonne pratique des vignerons serait nécessaire pour contrer la maladie, précise le rapport…

Le second point est abordé. Il concerne la gêne aux charrettes. Il y a chaque jour quatre convois pleins descendant et quatre convois vides. Les charrettes doivent stationner à droite et cela occasionne un surplus de transport et de temps pour rejoindre les vignes à gauche du chemin. Un très laborieux et minutieux calcul conduit l’expert à chiffrer le dommage à 54 f.

Le troisième sujet concerne le blocage des issues de la propriété de M. Jaudon.
Les deux issues de M. Jaudon sont distantes de 30 m. Les convois sont formés de six wagons , pour une longueur de 18 m, plus les 12 m d’espace occupé par la file des quatre chevaux, soit 30 m au total. Les issues sont donc fermées au passage du convoi pour 20 secondes ou ½ minute au maximum. « L’inconvénient* serait encore plus grand si au lieu des huit convois journaliers le chemin du Cruou à Marcillac était encombré à chaque instant du jour, par les tombereaux nécessaires au transport du minerai de Montdalazac. Les quatre convois descendants, soit 24 wagons, transportent en effet à raison de 4800 kg par wagon 116 tonnes de minerai par jour. En supposant qu’on puisse transporter 3500 kg de minerai par tombereau, ce tonnage correspondrait à 33 tombereaux descendant chargés et 33 tombereaux remontant vides qui passeraient chaque jour devant les issues…La gêne est moins grande avec les 8 convois qu’avec les 66 tombereaux passant presque constamment et à toute heure… »

* Il est curieux et amusant de voir l'expert proposer un argument tout à fait virtuel, aucun tombereau n'était passé par la vallée et cela n'était en rien envisagé par la Compagnie. L'argument de mauvaise foi sera évidemment pointé et rejeté par H. Jaudon devant le tribunal...

La question de l’emplacement de la voie, trop proche pour M. Jaudon de sa propriété est ensuite discutée. Un plan est dressé avec mention des distances du rail extérieur à la propriété. Comme le wagon surplombe la voie de 0,20 m, il faut aussi diminuer d’autant les valeurs. « L’intervalle libre de 1,10 m -art. 30 de la loi du 17 juin 1880- n’a été observé sur aucun des points de la voie ferrée faisant face à la propriété Jaudon…La société de Decazeville soutient qu’elle s’est conformée à l’article deux de l’arrêté préfectoral du 2 juin 1893 » prescrivant une distance de l’axe du chemin de fer à 2,62 m de l’axe du chemin 21.
Les experts constatent enfin qu’un noyer a subi des frottements, il sera abattu, et un mur est éraillé. Pour cela l’expert estime les frais à 6 fr pour manque de récolte de noix et 3 fr pour remise en état du mur.

Le point 4 concerne les modifications à l’écoulement des eaux.
La voie n’est pas ballastée comme prescrit. Les eaux entraînent entre les rails, dans la gorge créée par le piétinement des chevaux, les terres ravinées qui sont ensuite bloquées par le pavage au droit de l’issue et la boue pénètre alors dans la propriété…
Une solution serait la mise en place d’une buse par la compagnie et un curage des boues apportées aux frais de la compagnie.

Dernier point du rapport, la sécurité des personnes. L’entre rail est effectivement profond, non ballasté et constitue une gêne. La compagnie le reconnaît et propose d’indemniser les dégâts éventuels comme brisure d’essieu ou de roues…

Pour les personnes, le danger est moindre, mentionne le rapport, avec la voie ferrée : le nombre de passages plus faible comparé à celui de tombereaux éventuels diminue ce risque. Mais pour autant il faut être « vigilant avec les enfants… ». Pour la question de la poussière, le rapport précise qu’avec la voie ferrée il y a moins de passage de chevaux qu’avec des tombereaux, donc moins de poussières…

Les conclusions des experts seront les suivantes :
pas d’indemnité pour le premier chef de réclamation, la tourne du vin étant due à d’autres causes que la voie
pour la gêne, 54 fr pour les quatre années 1894 à 1897
100 fr pour le noyer et la perte de récolte, 3fr pour le mur, 5 fr pour le manque de foin

Le total se chiffre à 162 fr.

Les experts étaient M. Duponnois, ingénieur civil des mines à Villefranche, M. Boyer, ingénieur agronome, professeur d’agriculture à Villefranche et M. Marre, agronome, propriétaire agriculteur aux Clots (commune d’Aubin).

Nous sommes évidemment bien loin des demandes de M. Jaudon. Elles se montaient à 20.000 francs ! Le montant en était doublé depuis la première demande en dommages au Conseil de préfecture.

Ce rapport permet à Commentry de déposer ses « conclusions sur rapport d’experts ». Sans surprise, en huit pages, la société demande au tribunal de « rejeter toutes les demandes de l’adversaire ».

Les conclusions de M. Jaudon donnent lieu à un rapport imprimé de 8 pages. Elles vont évidemment dans une toute autre direction. Le plaignant confirme l’influence des trépidations sur la tourne du vin, et réfute les expériences mal conduites des experts. Selon lui les experts n’ont pas connaissance des pratiques locales en matière de vigne. Il conteste les chiffres relatifs à la gêne et produit les siens. Concernant l’évocation de tombereaux, qui seraient plus dommageables, M. Jaudon remarque qu’il ne serait absolument pas possible de les voir circuler dans la vallée , la pente ne le permettant pas, ce qui rend illégitime toute comparaison et appel à cet argument. Les arguments déjà présentés sont tous repris et justifiés par de nombreuses références juridiques. Un important travail  a été fait par M. Jaudon pour appuyer ses dires, travail visiblement beaucoup plus fouillé que celui de Commentry. Il précise dans une note une date de photographie, le 24 septembre 1894  : sur ce cliché la voie de la compagnie était posée à droite, situation qui dura 18 mois, de juin 1893 à décembre 1894. Cette photographie est, sauf erreur, celle présentant le groupe : la courbure de la voie, l’éclairement, l’absence du haut mur côté gauche bien visible sur les autres photographies, peuvent confirmer notre analyse. Cette date permet donc de conclure également à une date postérieure* pour les autres clichés, la voie étant alors reportée à gauche du chemin.

* probablement 1898 d'après A.M. Jaudon-Merino
 
     
▼▼Plan des experts, et extrait, col ANJM

Plan au 1/1000 réalisé en 1897 pour le travail d’expertise : on constatera que sur ce plan la voie est (définitivement) revenue sur l’accotement gauche du chemin. Les chiffres sont relatifs à la distance rail extérieur propriété.
plan jaudon cruou
plan jaudon cruou



 ▼ Rapport d’experts, plan de détails, 1897, col ANJM

Jaudon Cruou

Le croquis 1 montre une charrette (d) stationnée à droite et la difficulté de chargement ou de déchargement sur le talus gauche. Le dessin 3 présente la voie, manifestement en saillie. Le pavage du dessin 4, présent au droit des entrées, sera un réel obstacle à l’écoulement des eaux. Le profil en travers du dessin 5 situe bien la cour, en contre-bas du chemin et de la voie. L’échelle verticale est double de son homologue horizontale.







Déposé le 12 janvier 1898, ce rapport est donc un élément essentiel. L’affaire sera appelée et plaidée à Villefranche aux audiences des 29 décembre 1898 et 5 janvier 1899. Henry Jaudon plaide lui-même sa propre cause. L’avocat général était évidemment tout désigné pour cela ! La société Commentry est défendue par Me Dubruel. Sur la première question, la tourne des vins causée par les trépidations, le tribunal constate avec les experts, l’absence de trépidations et rejette de ce fait toute demande de dommages. La tourne trouve pour les juges son origine « dans des vignes épuisées par le phylloxéra…ou un nouvel état du vignoble qui remonte à une époque contemporaine de la pose de la voie… ». Un élément important du dossier est donc rejeté.

 La gêne pour l’exploitation, par suite de la voie présente coté gauche est retenue et « il y a lieu d’homologuer les dires du rapport d’expert » à ce sujet.

Le troisième point, l’obstruction des issues de la propriété est bien réelle, et la distance de 1,10 m ici réduite à 23 ou 27 cm empêche effectivement un usage normal de ces issues. A la question suivante, l’obstruction à la circulation des eaux, les juges pensent « que Monsieur Jaudon ne saurait être assujetti à implorer à chaque orage, nombreux parait-il au vallon de Marcillac, la bienveillance de la compagnie » pour demander le passage d’un cantonnier aux frais de Commentry venant retirer de sa cour les boues.
Les juges estiment enfin que si le risque d’accidents est avéré, il ne saurait être indemnisé avant qu’il ne se produise, et refusent donc de ce fait toute indemnité. La poussière soulevée par les chevaux ne leur parait pas non plus devoir être prise en compte pour une perte d’agrément.

La décision finale est la suivante : « …Par ces motifs, le Tribunal…vidant son jugement interlocutoire du six avril mil huit cent quatre-vingt-dix-sept…condamne la Compagnie Commentry-Fourchambault à payer à Monsieur Jaudon, à titre de dommages :
    La somme de cinquante-quatre francs pour gêne…
    La somme de cent trois francs pour le noyer et les dommages au mur…
    Quinze francs par an « tant pour le passé que pour l’avenir » … pour l’utilité normale des issues…
    Dix francs par an dans les mêmes conditions pour les boues…
    Un franc vingt-cinq centimes annuellement, dommage causé au pré, pour les quatre ans, soit cinq francs… ».

Le jugement é été enregistré à Villefranche le 30 janvier 1899.
Sauf erreur, le montant total des indemnités accordées par le tribunal s’élève à 187 francs. Aucune comparaison n’est donc possible avec les 20.000 fr évoqués en début de procédure. On peut d’ailleurs à ce sujet penser que l’avocat général savait très bien que le montant demandé était très surestimé…
Les dépens, à la charge de Commentry, se montent à 404,10 fr pour l’expert Marre, 430,00 fr pour Boyer et 409,25 fr pour Duponnois, soit un total de 1243,35 fr. Il n’est pas interdit de rapprocher la longueur de la procédure, les énergies mobilisées, en Aveyron et ailleurs, le travail d’analyse et de rédaction, le montant des dépens au montant des indemnités accordées au plaignant…

     
▼Jugement, 1899, col. ANJM
jugement Cruou 1899

Avant le prononcé du jugement, Henry Jaudon n’était pas resté inactif. Il sollicite un huissier, en juillet 1898, pour constater la réalité des trépidations. Il avance comme motivation le fait que la compagnie, prévenue du passage des experts, avait volontairement fait ralentir les convois. L’huissier et plusieurs autres témoins vont donc, les 20 et 21 mai, cachés pendant le passage des convois descendants, constater très distinctement les trépidations causées aux murs et meubles du premier étage. « Lorsque les wagons passaient vides, les mêmes phénomènes se produisaient mais avec moins de force… ». Le constat est facturé 7,25 fr à M. Jaudon. En cours d’année, M. Jaudon demande également communication du détail des sommes payées par Commentry au titre de l’entretien des chemins. Ces chiffres devaient avoir une certaine importance car l’agent-voyer en chef attendra l’autorisation du préfet pour les communiquer, le 3 janvier 1899.
Cette lettre, adressée au Conseiller Général de l’Aveyron, Avocat Général à Toulouse, fait le point sur les subventions industrielles demandées à Commentry.

▼ tableau des subventions dues au titre des détériorations des chemins

Cruou
          
           
Le total des subventions en francs « demandées et payées » précise la lettre est de 14433,5 fr. Pour l’année 1892, il est dit que « la Compagnie, pour l’acquit de la subvention applicable exécuta des travaux d’élargissement dans la vallée du Cruou, pour une somme assez considérable* et enleva des dépôts de graviers très importants amenés sur le chemin par l’orage du 19 juillet 1891 d’une violence exceptionnelle... L’emploi a eu lieu sur la ligne principale », le chemin 27 , ancien chemin 21.
Henry Jaudon écrira en marge : « aucun transport n’a donc eu lieu par la vallée du Cruou ». Il constate aussi que « la Cie, depuis l’établissement de la voie ferrée a augmenté dans des proportions énormes le minerai transporté ».

* non indiquée...

Dans une note particulière, Note complémentaire dans l’affaire Jaudon-Decazeville, Henry Jaudon reprend quelques points de l’affaire : « Avec la voie ferrée, sans payer aucun charretier ni aucune indemnité au Département et en supposant qu’elle se contente de 4 convois par jour, elle transporte  72.000 X 4 = 288.000 k par jour ou 288 X 300 =86.400 c.a.d. 86 mille tonnes par an !! C’est là le secret de sa prospérité actuelle et de grand développement qu’elle a donné à sa métallurgie. Il est juste qu’elle paie une partie de ces avantages au moins par la réparation des dommages causés aux riverains de la voie ferrée ».

Commentry






◄ Bilans financiers


A l'époque de ce conflit, la Compagnie ne connaît que la prospérité, augmentation des productions et des bénéfices...Le dividende par action va presque doubler en quinze ans.
Henri Jaudon avait donc à la lecture de ces bilans d'assemblées générales un argument bien réel à présenter aux juges.























Acte 3, un nouveau procès

Les protagonistes sont les mêmes, mais Henry Jaudon sera maintenant le conseiller des propriétaires contre Commentry. N’étant pas une des parties, nous n’avons pas dans ses archives des documents précis comme requête ou rapport.
Mais une copie du jugement figure !


Nous n’avons pas non plus d’informations précises sur le ressenti de Commentry au vu du jugement de 1899, assez favorable - très ? - pour la société. Pour le plaignant de la vallée, qui doit être assez déçu, les trains vont continuer à passer, voire dévaler la pente. Et les embarras perdurent, les mêmes causes produisant les mêmes effets ! Monsieur Jaudon et les propriétaires, après 7 ou huit ans de procédures vont donc continuer à subir les aléas du progrès industriel.

En septembre 1900, en réponse à une lettre du 8 septembre de M. Jaudon, le directeur Péguet confirme le jour même la venue d’un agent au Cruou « pour examiner les réclamations qu’elle contient ». Il s’agit à nouveau de boues déversées suite à orages devant les entrées, totalement obstruées. Si une solution immédiate avait demandé M. Jaudon n’est pas mise en œuvre, « il saisira à nouveau la justice ». Il faut croire que l’éventuelle saisie est bien d’actualité, puisqu’un constat d’huissier sera fait le 9 septembre. L’aqueduc qui longe la propriété est complètement engorgé par les sables. Des épaisseurs de graviers, sables et boues de 50 cm sont constatées à l’intérieur de la propriété. Une planche est même nécessaire et indispensable pour permettre d’entrer et sortir, planche bien visible sur les photographies.

Les archives consultées sont muettes sur les deux années suivantes…mais on peut penser que des difficultés diverses, ne serait-ce que pour l’agrément, ont bien dû se manifester…Et le progrès s’annonce donc avec le projet de Commentry de substituer la vapeur à la traction animale. Evidemment l’opposition est totale au Cruou. Cette éventualité qui se fait jour en 1904 était en fait une intention de Commentry, dès la pose de la voie, 10 ans plus tôt. Le texte qui suit ne laisse aucun doute sur ce point.

Le 10 juillet 1904 le maire de Mouret confirme à M. Jaudon que « le Conseil municipal s’oppose énergiquement au changement du mode de traction vu les graves inquiétudes que provoquera le bruit et la fumée des trains et de la machine pour les habitants riverains et les nombreux accidents qui pourraient survenir pour les voitures attelées et pour les passants ». Une enquête a eu lieu en Mairie du 1 au 20 juin. « La réclamation des habitants du Cruou est couverte par 61 signatures ».

Le 15 août 1904, l’Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées informe courtoisement Monsieur Jaudon, Procureur de la République à Toulouse, Vice-Président du Conseil général de l’Aveyron, de sa visite au Cruou de la petite ligne de la Cie de Decazeville.
Dans une note de sept pages, non datée, mais rédigée en ou après 1904, M. Jaudon fait le point sur les observations formulées par les propriétaires sur le projet de substitution. Il commence par rappeler les procédures passées qui n’ont « pas duré moins de dix ans » : Conseil de Préfecture et arrêté d’incompétence, puis demandes en dommages devant le tribunal de Villefranche, provoquant l’expertise Duponnois-Marre-Boyer.

Une autre expertise, Colombier-Goudal et Murat est évoquée dans cette note. Elle fait suite à une nouvelle demande en dommages faite par plusieurs propriétaires : dommages aux immeubles et aux vins par les trépidations, gêne dans l’accès, saillies des rails, et difficultés pour l’exploitation des propriétés. Ce dernier jugement, troisième acte de procédure, avait été rendu le 31 décembre 1903.
Le montant des frais est d’environ dix-mille francs. Dans ses jugements, « le tribunal a accordé à onze riverains des redevances annuelles variant de 40 à 15 francs. Le tribunal n’a écarté que deux causes : les trépidations dont l’intensité ne lui a pas paru suffisante et les accidents…qui ne peuvent pas donner lieu à des indemnités fixées d’avance ».

 Dans sa note qui sert de base aux plaignants, Henry Jaudon constate :


« La mesure de substitution envisagée aurait pour résultats :
-     d’aggraver tous les dommages déjà causés et constatés…
-    d’en occasionner de nouveaux : trépidations plus intenses, arrêt des convois impossible ou très difficile, circulation avec des animaux dangereuse…la locomotive effrayant les animaux, La fumée, loin de se dissiper dans une vallée étroite bordée d’arbres fruitiers s’y concentrerait…Elle est nocive pour les récoltes… »

En conclusion de cette note, « les soussignés déclarent s’opposer énergiquement à la substitution proposée de la traction à vapeur à la traction animale et demandent à M le Préfet le retrait de l’autorisation accordée… »
Cette importante note de 1904 révèle donc le procès de 1903.

Dans son jugement du 31 décembre 1903, le tribunal  de VIllefranche :
-     ne se prononce pas sur la légalité des arrêtés du préfet, hors de sa compétence
-    précise, au sujet de la saillie des rails, que la Compagnie semble avoir oublié (sic !)  plusieurs des          obligations auxquelles elle s’était astreinte…
-    constate que les trépidations sont insuffisantes pour provoquer les effets allégués
-    constate que les poussières soulevées par les trains ne sont pas aggravées de ce fait
-    constate que la voie ferrée est une gêne évidente pour tous les demandeurs
-    rejette la responsabilité des trains dans la maladie de la tourne

Le jugement analyse enfin les cas particuliers des demandeurs. Il nous apprend au passage que le rapport des experts est daté du 6 mars 1902. Dans ses conclusions, il condamne la Compagnie à payer aux différents demandeurs, pour réparation du préjudice, des dommages. Suit la liste des plaignants, dans lesquels ne figure donc pas M. Jaudon, et le détail des sommes dues.

Le montant total des indemnités est de 1964,04 francs. Les dépens seront supportés pour un quart par les demandeurs.

Maître Colombié était l’avocat des demandeurs. En souhaitant la bonne année à son Cher ami Jaudon, Colombié écrit : « Ce n’est pas tout ce que nous aurions désiré, mais le résultat n’en est pas moins appréciable… »
 
Cruou, le 11 janvier 1904
Monsieur Jaudon,
    Je vous remercie bien des communications des lettres dont vous avez bien voulu nous faire part. Tous les intéressés en ont pris connaissance et ont l’honneur de vous remercier des peines que l’on vous a données en attendant de pouvoir le faire de vive voix et vous satisfaire.
 à la première fois que l’on ira à Rodez on remerciera M. Pons et on le satisfera aussi…
signé Combes Bernard



Cruou jugement
 


Les locomotives ne passeront pas dans la vallée. Mais les chevaux vont continuer de tirer les trains de minerai, sur ce chemin 21, jusqu’à l’hiver 1910, remplacés alors par un véritable progrès, un chemin de fer, mais aérien celui-là, mis en place sur le causse.

Cruou

circulaire Maruejouls
Le 9 avril 1904, le Ministre des Travaux Publics, Emile Maruejouls, adresse aux Préfets une circulaire pour définir la position administrative pour l'établissement des voies ferrées industrielles sur les routes. Une coïncidence ? Absolument pas ! Henry Jaudon, avocat, conseiller général en 1895, connaissait très bien son confrère avocat, Président du Conseil Général de 1896 à 1906 et ministre ! La circulaire, manifestement inspirée par H. Jaudon, reprend dans ses six pages la quasi-totalité des griefs du Cruou ! La (petite) vallée a donc eu une importance administrative nationale ! Qu'on se le dise...

        " Mon attention a été très récemment appelée sur les questions que soulève l'établissement de voies ferrées particulières, par des industriels par exemple, sur le sol des routes, quais et dépendances du domaine public terrestre..."           (► un clic ICI  pour lire la circulaire dans son intégralité)

Epilogue

Cruou

▲ Les soubresauts qui ont agité depuis plus de dix ans la vallée du Cruou vont s’atténuer. Journal de l'Aveyron


aerien

Les procès ne sont plus qu’un souvenir lorsque en 1909 s’annonce la construction de l’aérien. Enfin !




Plus de trépidations, moins de poussières…Mais n’a-t-on pas, un peu, déplacé les problèmes et échangé tout cela contre chute de minerai depuis les airs ou bruit incessant de ferraille ?

Une autre histoire va s’écrire, à découvrir sur www.ferrobase...


 

Cruou michelin

Ferals 
▲ 20 février 1917


interen savoir beaucoup plus ?

Postérieurement au dépouillement de ces archives et après la rédaction de notre note, nous avons retrouvé* un texte  qui complète parfaitement cette connaissance du Cruou. M. Matheron, pour le compte de la Compagnie Commentry rédige un volumineux rapport sur les mines de Mondalazac. C'est un état zéro de ces mines que Commentry vient d'acquérir. Les mines, car il présente toutes les ressources du causse. Dans une première partie historique il rappelle ainsi qu’avant 1840, la Route du fer passait par Rodez, Rignac, Montbazens. Il en coûtait 27 francs à la tonne pour ce voyage ! Vers 1840, le passage direct par Solsac, Marcillac, St-Christophe permet de rejoindre plus directement Firmi et Decazeville.

* texte recopié in Fonds Daudibertières, 10-29, Société des Lettres sciences et arts de l’Aveyron

carte forestier
▲ Carte Atlas Forestier, département de l'Aveyron, extrait, 1889

Toute la difficulté du transport :

1, par une route via Rodez et Rignac, avant 1840
2, par un (mauvais) chemin, via Marcillac et St-Christophe, 1840-1856
3, par la voie ferrée minière, 1856, et un chemin du causse
4, par la vallée du Cruou, 1893 et  la voie minière
5, avec le chemin de fer aérien, 1911, et  la voie minière

Une circulation difficile sur des chemins très abimés par cette même circulation -on tourne en rond ! – amène les administrateurs à penser à une voie ferrée minière, privée, leur appartenant en propre. Les besoins accrus de minerai pourront être mieux satisfaits. Les premiers travaux de cette voie débutent en 1849, pour un premier tronçon de Firmi à Riou Nègre, sur 9 km. En 1853, ce sera jusqu’à la Cabrière, entrée ouest de la vallée de l'Ady, et la longueur de la voie est alors de 13 km. Fin 1855, le terminus est enfin Marcillac, après réalisation des grands travaux d’ouvrages, le pont Malakoff en vallée de l’Ady, le Pont Rouge sur le Créneau à Marcillac et les longs tunnels d’Hymes et de l’Ady.

En 1853 le court tronçon de la mine de Solsac est également en place, menant sur une très courte distance le minerai au dépôt en haut de la côte de Marcillac.

Nous vous proposons ici le texte du paragraphe Transport. Il complète remarquablement bien l’étude précédente menée sur archives. Ce texte de Matheron a de plus été écrit en 1892. Il est donc contemporain des préoccupations des riverains de la vallée et présente de ce fait un incontestable intérêt documentaire. Il complète des éléments évoqués, écarte toute information sur les litiges en cours, et détaille avec beaucoup de soins la circulation en vallée du Cruou. Elle semblait, au vu de l’expert de la Compagnie Commentry, plus risquée que ne pouvait le penser M. Jaudon ! Celui-ci n’a manifestement pas eu connaissance de ce rapport aux administrateurs. Il aurait dans ce cas trouvé sûrement matière à critiques…

En fin de texte, nous donnons le paragraphe relatif au grillage du minerai. Le site des Espeyroux était fortement impliqué.


Etude  sur les mines de fer de Mondalazac, M. Matheron, 1892

Cette étude a fait l’objet d’un rapport à la direction de Commentry en 1902 .
Transport-Historique, Espeyroux à Marcillac


DaudibertieresLe prix élevé des transports sur essieu entre la mine et Marcillac a préoccupé tous les Directeurs et Administrateurs qui se sont succédés à Decazeville avant 1892. Plusieurs projets furent étudiés pour prolonger jusqu’à Mondalazac la voie ferrée de Decazeville à Marcillac.
En 1863 on avait dressé un avant-projet qui ne différait pas essentiellement du projet qui a été exécuté par la Compagnie Commentry, la situation mauvaise de la Compagnie ne permit pas à ce moment de lui donner suite.
De 1879 à 1881, Mr Petitjean administrateur délégué a fait étudier divers projets tendant à relier la mine de Marcillac par une voie ferrée. On avait conclu au projet n°8 (chemin de fer sur l’accotement de la route du Cruou, raccordement avec le plan incliné et chemin de fer supérieur) comportant le minimum de frais d’établissement et qui paraissait seul pratique pour un chemin de fer à faible trafic. Il aurait été exécuté avant 1892 si la situation précaire de la Société des Houillères de l’Aveyron n’avait pas été un obstacle sérieux. Néanmoins pour améliorer les conditions de transport par voiture, en attendant qu’on put établir la voie ferrée, la Société des Houillères et Fonderies de l’Aveyron avait étudié un projet par la route du Cruou avec raccordement au Plateau de Marcillac au moyen d’un pont sur le Cruou. L’économie du projet consistait dans la réduction de la longueur des transports à 7 K500 au lieu de 11 Km par le chemin de Solsac. On pouvait économiser ainsi 0 fr 70 par tonne. Si la fusion avec Commentry n’avait pas eu lieu, ce projet aurait été exécuté en 1892, car le Conseil d’administration avait voté à cet effet un crédit de 15000,00 fr. A cette époque le transport par voiture entre la mine et Marcillac coutait 2,35 fr se décomposant comme suit :
Prix du transport (11 Km) =1,75 fr-Déchargement à Marcillac 0,10-Entretien de la route de Solsac 0,50-Total 2,35 fr.
Ce projet fut étudié à nouveau en 1892 par la Compagnie Commentry après la fusion. Toutefois l’exécution de ce projet de raccordement fut retardée dans l’espoir que l’administration accorderait bientôt l’autorisation de poser une voie ferrée sur l’accotement du chemin du Cruou. En juillet 1891, la Société des Houillères et Fonderies avait en effet adressé une pétition pour obtenir l’autorisation de cette pose. L’exécution simultanée du projet de voie ferrée et du raccordement de la route au plateau de Marcillac permettait de réduire de 4000 fr environ les frais de raccordement en employant comme remblais au point de raccordement les déblais fournis par la construction de la voie. L’attente de la Compagnie était donc bien justifiée. Pendant ce temps la Compagnie raccordait la route du Cruou à la mine après avoir obtenu l’approbation de l’Administration. A la suite de la pétition d e1891, les agents voyers furent chargés d’étudier le projet de la voie ferré. L’agent voyer d’arrondissement dresse un projet qui comprenait l’élargissement du chemin à grande communication du Cruou, sur tous les points nécessaires. L’administration devait faire les expropriations et surveiller l’exécution du travail de la Société de Decazeville consentant à faire tous les travaux indiqués et prendre en charge toutes les dépenses qui en résulteraient. Le devis de l’agent voyer comportait une dépense de 12581,75 fr. La Compagnie de Commentry étudiera ce projet dont les dispositions étaient imposées par la situation des lieux et par la nécessité d’utiliser autant que possible les travaux d’élargissement exécutés par le Département (côte de Frontignan). La Compagnie ayant accepté les propositions de l’Administration, l’autorisation de poser la voie ferrée sur l’accotement Nord fut accordée par un arrêté préfectoral du 2 juin 1893.
Le 26 août, parut un nouvel arrêté préfectoral pour faire déplacer sur l’accotement sud une partie de la voie ferrée. Cet arrêté fut pris sur la proposition du Conseil Municipal de Marcillac à la requête de Mr Jaudon, mais un 3 ème arrêté, du 6 janvier 1894 rapportera celui du 26 août.

FeralsFerals
 
▲    le mur des trémies à Ferals :
la partie centrale ferme l’espace entre les deux quais dont on distingue bien
les extrémités. Voir l’extrait sur la carte.


plan Ferals 1897
 
▲    Plan de la mine de Ferals ; extrait, 1897

Détail de la voie ferrée

Bien qu’il ne fût question à ce moment que d’un transport par chevaux on choisit des rails suffisamment résistants pour permettre l’emploi ultérieur de locomotives, si cette situation était reconnue avantageuse.
Eléments de la voie
Rail Vignole au Cruou de 8 m de long, hauteur 92 mm, épaisseur du champignon 49 largeur du patin 80 poids par mètre 22K5.
Le devis pour un kilomètre de voie s’élevait à 11321,80.

Conditions de transport sur la voie ferrée Marcillac Espeyroux

Pour charger facilement les caisses du wagon de minerai aux Espeyroux, un quai de chargement ayant 3,35 m de hauteur et comprenant 5 trémies avec culbuteurs fixes a été construit en 1893 et agrandit en 1898 par l’adjonction de 5 nouvelles trémies. Les chars de minerai sortant de la mine sont roulés à bras jusqu’aux trémies (distance moyenne 55 m et culbutes dans les caisses). Un ouvrier peut rouler aux trémies et charger en wagons 70 tonnes par jour.

Roulage des wagons pleins de Marcillac

Les caisses sont roulées à Marcillac par convoi de 4 jusqu’au bas de la cote de Frontignan ou est établie une gare de relai (gare du Cruou) : par convoi de 6 entre ce relai et Marcillac. Chaque convoi est conduit par 4 chevaux avec un conducteur. La gare intermédiaire divise le parcours total en 2 tronçons, l’un de 3800 m en cote et l’autre de 4500 m dans la vallée, avec plusieurs ondulations de terrain. Des équipes distinctes font le roulage sur chaque tronçon.

Section Espeyroux – Gare du Cruou

La descente des wagons jusqu’à la gare de Cruou est délicate à cause de la pente notable de la voie. Voici les précautions employées. La descente est modérée :
1e par le freinage du convoi, chaque essieu est muni d’un frein à vis actionné par une manette. Il y a deux serre-freins par convoi de quatre caisses.
2e par un traineau placé en queue, contenant environ 1700 kg de minerai cru. Il est monté sur deux patins de 0,16 de largeur glissant sur les rails. Ce traineau est attelé au dernier wagon au moyen de 2 chaines, au premier par un câble en dessous.

Un dispositif spécial est installé à la gare d’Espeyroux pour faciliter le départ du convoi en supprimant le glissement des traineaux sur le palier de la gare. A cet effet celui-ci est monté sur un truck qui roule sur une petite voie encaissée dans l’entre rails de la voie normale. Lorsque le convoi arrivé à l’extrémité de la gare s’engage sur la pente, le truck se décroche progressivement à cause de l’inclinaison de sa voie pour que le traineau vienne reposer sur la voie normale. Au relai de Cruou, le traineau est déchargé à la pelle. Il est ensuite remonté aux Espeyroux dans une caisse vide. Une sablière amovible, dont le registre est actionné par une poignée, est placée à l’avant de la première caisse du convoi. On ne s’en sert que lorsque le temps est humide. Il peut arriver que les dispositifs ci-dessus se trouvent accidentellement insuffisants (cas de rupture d’un frein ou freinage insuffisant). Il faut donc pouvoir retenir néanmoins le convoi quitte à le faire dérailler. A cet effet une fourche de retenue est placée en avant des 2 ème et 3 ème caisses. Relevées en temps normal, chacune peut être facilement déclenchée au moyen d’un levier. Enfin quatre embranchements dérailleurs convenablement espacés sur le parcours sont normalement disposés pour faire dérailler le convoi ou une caisse isolée qu’on laisserait échapper par inadvertance ou par insuffisance accidentelle des dispositifs ci-dessus. Disons pour terminer qu’une visite très minutieuse des caisses est faite tant à Mondalazac qu’à Decazeville à l’arrivée de chaque convoi.

2 ème secteur Gare du Cruou-Marcillac

Ici le traineau n’est plus nécessaire mais les autres dispositifs sont maintenus. Chaque convoi de six caisses est conduit par un conducteur assisté d’un freinteur.

Monter des wagons vides aux Espeyroux

Dans chaque secteur les convois vides remontés comprennent le même nombre de caisses et de chevaux que les convois pleins descendus.

Prix de revient du transport des Espeyroux à Marcillac

Le revient du transport a diminué régulièrement jusqu’en 1898-1899 grâce à la substitution du transport sur rails au transport par voiture. Cette substitution a été achevée fin 1894.

Marcillac-Decazeville

Jusqu’en 1898 on a employé des locomotives de 12 tonnes qui étaient insuffisantes pour un transport économique sur un aussi long parcours 23 km. La voie a en effet des pentes et des rampes qui atteignent 30 mm par mètre. Dans la marche Marcillac Decazeville, il y a une rampe de 10 mm de Marcillac à St-Christophe (longueur 5 km) qui nécessite le doublement des convois et leur reconstitution au sommet de la rampe. Aussi en 1892, a-t-on préconisé l’emploi de locomotives de 20 tonnes.

Notes sur le grillage
Utilité du grillage




Le grillage a pour but d’enlever l’eau et surtout l’acide carbonique du minerai. Il enlève aussi quelques impuretés (soufre). Voici les analyses comparées du minerai cru des Espeyroux et du minerai grillé à la mine.
tableau cruou


Le grillage augmente donc la teneur du fer 5% environ. L’enrichissement réel est de 20%. Il devrait être théorique de 1/3, car le minerai cru rend 75% de grillé. Des essais faits en 1893 au Haut-Fourneau ont démontré l’avantage d’emploi du minerai grillé malgré son prix élevé : 9,75 au gueulard alors que le cru ne coûtait que 5,00 fr.


Avantage du four de grillage

Si l’on ne fait pas de grillage hors des hauts Fourneaux, il s’effectue dans cet appareil aux régions supérieures. En abaissant la température des gaz, il en résulte donc un refroidissement d’allure si l’on n’ajoute pas une certaine quantité de coke supplémentaire. Le grillage dans le Haut Fourneau est anti économique pour deux raisons principales
1 er le grillage s’effectue par la combustion du charbon passant à l’état d’oxyde carbone
2e le combustible (coke) est d’ailleurs d’un prix élevé

Le grillage dans un four spécial se fait par la combustion de combustibles inférieurs, ou, dans tous les cas, moins chers que le coke. De plus, le carbone passe à l’état d’acide carbonique, c’est-à-dire qu’il dégage le maximum de chaleur.
Le grillage dans le haut fourneau dilue les gaz combustibles (oxyde de carbone, etc). L’utilisation de ces gaz comme combustibles devient presque nulle. On perd donc une quantité considérable de calories que l’on utilise si le grillage se fait en dehors du Haut Fourneau. Mais le grillage dans un four spécial occasionne un supplément de main d’œuvre important.

Le grillage a été effectué aux Espeyroux jusqu’en 1902. L’augmentation des besoins de la métallurgie en 1899-1900-1901 a nécessité pendant cette période la marche à 2 postes avec les 8 fours. Mais le prix de revient élevé de cette opération avec l’emploi de petits fours utilisant mal le combustible et la main d’œuvre décida la Compagnie à mettre en exécution le projet d’un grand four en cuve de 150 tonnes.

Avantage des grands fours projetés sur les petits fours des Espeyroux

Dans un grand four, le chauffage est plus méthodique et, par suite, le rendement calorifique de l’appareil plus élevé. Le combustible est d’autant mieux utilisé que la hauteur du four est plus considérable. Pour que l’utilisation fut parfaite, il faudrait que les gaz et le minerai grillé sortissent froids du four ; mais cette condition est pratiquement irréalisable, car il faudrait un four trop élevé et trop couteux à construire. D’autre part le tirage naturel nécessite forcément une certaine température des gaz au gueulard, température qui ne doit pas descendre pratiquement au-dessous de 150°. La hauteur du four a été fixée à 14,37 m. La hauteur des petits fours des Espeyroux est de 6 m.

On commença l’étude du projet du grand four en 1900. On eut d’abord l’idée de construire ce four aux Espeyroux à l’est du massif des petits fours ; mais après examen approfondi de la question on reconnut préférable de le construire à Decazeville. Toutefois l’emplacement faisant défaut à Decazeville, on choisit définitivement la Forézie où l’emplacement était bien convenable à proximité du stock de minerai cru. Cette position permettait d’utiliser l’ancien crassier pour l’établissement de la rampe d’accès aux estacades de déchargement du cru. On avait aussi à proximité l’eau nécessaire à l’alimentation des chaudières du monte-charge. La construction du four commencée en 1901 fut achevée en mars 1902. La mise en feu eut lieu en mai.

▼ fours à griller, Firmi, vers 1910

Firmi

pour nous écrire : jrudelle@ferrobase.fr

Cruou 2010
 
                        Mouret

▲ Mouret, Bulletin municipal 2019
un (court) résumé en page 9 du Bulletin 2019 pour garder une trace de ce patrimoine


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