L'Atlas cantonal de l'Aveyron
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Baptiste Lacaze, auteur de l'Atlas, a séjourné  au 39 rue de l'Embergue, à Rodez.
La porte  se montre sns doute encore dans son aspect ancien



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Jeux de cartes, l'Atlas Cantonnal (sic)  de l'Aveyron

► L'Atlas dans son intégralité, page spéciale des 42 cartes  , ICI

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Une partie de plaisir ? Peut-être pas !

partie I   ↓                                                      →  partie II, ICI

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Patience et longueur de temps...font des images en meilleure définition...

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     chevaux

   

lettrine-En 1856 le minerai du causse Comtal voyage lentement, c'est le bon qualificatif. Il faut imaginer ce qu'étaient les convois de chars, partis de Marcillac, à la gare minière, du plateau, ou du causse même, beaucoup plus haut, pour rejoindre les hauts-fourneaux à Decazeville. Chemins détruits, difficultés hivernales, entretien difficile et onéreux, conflits divers et fréquents, sont pour la Compagnie quelques uns des motifs qui vont décider François Cabrol à mettre en place une voie ferrée privée, minière, de Decazeville à Marcillac. Opérationnelle en 1856, à l'écartement de 66 cm, elle sera rejointe dans cette Route du Fer par une autre voie, mise en place par une autre compagnie, pour rejoindre une autre vallée : la voie à l'écartement de 110 cm de la compagnie d'Aubin, propriété de la compagnie d'Orléans, permettra aux premiers convois de circuler en 1860, menant le minerai de Cadayrac à la gare de Salles-la-Source pour transbordement. 

      Le tracé de ces deux voies ferrées privées sur les cartes, au XIX ème siècle et au suivant, est  souvent présent pour la voie de Decazeville, et souvent absent pour ne pas dire exceptionnellement présent pour la voie de Cadayrac ! Les deux séries de cartes qui vont faire l'objet de notre étude, les cartes de l'Atlas cantonal de Lacaze et les feuilles de la carte Romain, parues à la même époque, vers 1860, les mentionnent. Si pour Bernard Romain la conception de ses feuilles et la construction des voies sont deux évènements contemporains, il n'en est pas de même pour Baptiste Lacaze. Lorsqu'il entreprend l'Atlas, les voies ne sont même pas en chantier et sûrement pas évoquées. On lui doit donc l'excellente initiative d'avoir suivi l'actualité en reportant, après son dessin initial de l'Atlas, le tracé de ces deux voies. Pour la voie de 110, son travail est beaucoup plus exact que celui assez approximatif de Romain. Avant d'étudier quelques détails industriels de ces cartes et feuilles, nous vous proposons un arrêt sur image pour découvrir ce que sont les acteurs de ces cartes, et une immersion  dans une histoire finalement assez mouvementée : un jeu de cartes, certes, mais pas obligatoirement toujours une partie de plaisir !

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fleche  Introduction 

fleche   les  acteurs, auteurs, imprimeurs, préfets

fleche   Quelques éléments de chronologie

fleche   Cartes et représentations, une réalité ?

fleche   Diffusion de l'Atlas cantonal, demi-succès ou demi-échec ?

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la suite , partie II  :

fleche   Carte Romain

fleche  Litige Lacaze Romain, action judiciaire

fleche  L'Atlas cantonal à la loupe

► ICI

 

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Introduction

 atlas cantonal aveyron

Les joueurs : ils sont quatre, Baptiste Lacaze, M. Clergue, M. Bernard Romain, M. Arribat

Le but : une carte départementale, cantonale, de l'Aveyron.

 

            Au milieu de ce siècle, vers 1850 donc, le Département de l'Aveyron commence à réfléchir sur l'opportunité de publier une carte détaillée du département. Il y a bien évidemment celle de Cassini, et quelques autres, mais il manque pour les élus départementaux un travail cohérent et complet sur l'ensemble du territoire. L'Atlas Cantonnal (orthographe d'origine respectée), et la carte Romain vont ainsi apparaître à peu près à la même époque et vont constituer pour les décennies suivantes une excellente base. Voici donc quelques éléments sur ces travaux qui connaîtront, comme toute œuvre humaine des hauts et des bas….

           

            Les besoins de cartographier le département sont importants. L'industrialisation le nécessite tout comme les besoins en communication. Beaucoup de villages n'ont pas accès facilement aux centres importants comme Rodez, Millau ou Villefranche. Pour le nord ou le sud Aveyron, la situation est pire ! Et pour tracer des chemins, discuter les projets, renforcer tarnceux qui le méritent, et trouver les budgets, il n'y a rien de mieux qu'une carte. La cartographie cantonale apparaît ainsi comme un excellent moyen de mieux connaître son territoire. L'échelle du canton permet aussi de bien souligner les solidarités entre communes. L'Aveyron va donc se doter d'une telle cartographie. Si le département n'est pas précurseur, il n'est pas non plus en retard dans cette démarche. Le Tarn est doté de son Atlas depuis 1840, comme les Hautes-Pyrénées, le Lot aura le sien en 1873, le Lot-et-Garonne en 1883, la Loire en 1887, l'Ariège en 1864 et la Corrèze en 1874. Aux extrêmes on trouve par exemple les Vosges en 1821, sans doute l'un des premiers, et le Loiret en 1899.

 

 

ariege Ariège, 1864

          Les Atlas cantonaux viennent compléter dans les départements des documents comme les atlas communaux, avec lesquels ils n'ont pas de lien précis. Ces derniers établis par les géomètres des contributions directes, l'administration du cadastre, à laquelle Lacaze et Clergue appartiennent, répondent aux besoins précis d'établissement des contributions. Leur forme est codifiée et l'administration centrale parisienne veille à l'élaboration et à la conservation de ces documents. Le Bulletin des contributions directes, avec publication de nombreuses directives et circulaires, en 1838 par exemple, est ainsi un outil de codification efficace. Pour les cousins cantonaux, les Atlas cantonaux, l'échelle est différente et les commanditaires, les conseils généraux, définissent les contenus.

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            Les Atlas se ressemblent beaucoup, avec une typographie artistique pour les cartouches. On n'oublie pas évidemment de citer les préfets, qui, en leur qualité d'administrateurs, sont le plus souvent, mais pas systématiquement, les initiateurs des travaux. Les échelles sont voisines mais pas identiques : 1/30.000 à 1/50.000 avec la variante à 1/40.000. Le format des Atlas est donc généralement important, 50 cm par 70 cm pour donner un ordre de grandeur. Le contenu ne répond pas à une injonction du pouvoir central et les Atlas n'ont donc pas tous les mêmes contenus. Les chemins et autres voies de communications figurent, mais pas obligatoirement tous. Il en sera de même pour les activités humaines reportées, certaines pourtant importantes, on le verra pour l'Aveyron, ne sont pas indiquées. Il en est de même pour les villages et hameaux, tous ne sont pas à l'affiche ! Et pour ce qui est des légendes, elles ne sont pas toutes identiques pour les 42 cartes de l'Atlas aveyronnais… La personnalité de l'auteur est donc très manifeste. Si pour la plupart des Atlas ce sont des professionnels comme les agents-voyers des départements qui sont à l'œuvre, ce n'est pas non plus une obligation. L'Atlas du Lot est ainsi le travail d'un religieux, le frère Arnal, instituteur. Bousquel, géomètre, sera l'auteur de l'Atlas "cantonnal" du Tarn, et Lacaze et Clergue, employés du cadastre, auteurs de notre Atlas tout aussi "cantonnal" (sic) aveyronnais. Au passage soulignons que l'orthographe de l'époque admet le mot cantonal avec sa variante deux n, ce qui peut choquer quelques puristes d'aujourd'hui…

 

            Cette diversité d'initiatives, d'auteurs, de commanditaires, les Conseils généraux, qui fait de chaque Atlas un travail unique, ressemblant au voisin, mais seulement ressemblant, est à opposer aux habitudes actuelles : les feuilles de la carte géologique, ou celles de la carte topographique pour ne prendre que deux exemples, répondent à notre époque aux mêmes contraintes, de couleur, de représentation, de contenus.


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Acteurs, auteurs

 

Baptiste Lacaze

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Journal de l'Aveyron

            Monsieur Lacaze est né le 28 août 1819 à Rodez. Son père, Pierre Lacaze est travailleur habitant Rodez (acte état-civil), et nous n'en saurons pas plus sur ses origines, ni sur son adresse d'alors. Comme il le mentionne  sur les cartes de l'Atlas, il sera employé au cadastre, un emploi assez précaire. C'est un peu précis, mais assez flou sur les activités réelles qui étaient les siennes : dessinateur comme nous le pensons, enquêteur ? ? Les fonctions au cadastre ne seront pas les seules : M. Lacaze quitte le service  après 7 ans de présence pour l'inspection des forêts où il va passer 38 ans, dans l'Aveyron mais également en poste dans le Cantal.


▼ La maison Roustan jouxtait le numéro 23...

roustan

            Il décède à 75 ans en 1894, le 30 mai à Rodez. Il habite alors la maison Roustan, rue Béteille, veuf de Pauline Canitrot. Son acte de décès précise sa dernière profession, brigadier forestier en retraite. Baptiste Lacaze  a eu plusieurs adresses, comme celle du 39 rue Embergue-gauche. Il prendra sa retraite en 1882. Accessoirement, on le retrouve nommé juré suppléant aux assises le 23 novembre 1889 (JdA).

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Journal de l'Aveyron

            Lorsque va paraître l'Atlas cantonal, la mention employé du cadastre est indiquée ; elle est peut-être plus "accrocheuse" pour la vente de l'Atlas que brigadier des forêts. Il est possible également qu'après 1844, l'auteur ait pu continuer à fréquenter le cadastre pour des périodes diverses…

 

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Monsieur Clergue

 

            Assez inconnu pour nous ! Son nom figure sur les cartes cantonales, mais pas sur celle du département dressée en 1861. Peut-on en conclure que Lacaze fut alors le seul dessinateur de celle-ci, et était-il donc probablement le dessinateur des 42 autres ? M. Clergue l'aurait alors secondé pour le travail de recherches…C'est notre conclusion actuelle.

Nous n'avons que peu d'informations sur les origines, adresses et autres données le concernant. Tout au plus, on peut mentionner Clergue comme nom de la mère de l'épouse de Lacaze, née Jeanne Pauline Canitrot...Un cousin de celle-ci, Auguste Clergue, était son témoin pour son mariage à Rodez avec Baptiste Lacaze, le 26 février 1854. Auguste Clergue est alors déclaré sans profession et Baptiste Lacaze brigadier forestier.

 

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Bernard Romain

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            L'auteur des cartes dites cartes Romain, Bernard Romain,  était agent-voyer, c'est-à-dire ingénieur territorial dans la situation actuelle. Ses cartes de 1860 sont dédiées au préfet Demonts.

 

Alors en poste comme agent-voyer d'arrondissement à Espalion, il est nommé en 1851 à Rodez et cumule les fonctions d'agent-voyer en chef et celles d'agent-voyer de l'arrondissement de Rodez. Ce cumul durera jusqu'en 1858. Il habite Rodez, au 5 de la rue Béteille. On le suit ensuite à Saint-Etienne en 1862 et à Lille en 1869, toujours agent-voyer en chef. Il prendra sa retraite en septembre 1875 à Lille.

Il sera membre le 12 juin 1853 de la Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron, membre correspondant en 1862, ayant alors quitté le département.

On notera également que l'imprimeur de l'Atlas Louis Loup était également membre de la SLSAA.


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Urbain Arribat

 

            Agent-voyer à Espalion, c'est donc une connaissance ancienne de Romain et un professionnel de la voirie et de la topographie. Entré dans l'administration en 1852, Urbain Arribat fut le dessinateur de Romain pour le travail des cartes. Il quitte Espalion pour Saint-Affrique en 1861. Il sera agent-voyer d'arrondissement à Rodez et prend sa retraite en 1880. Monsieur Arribat a prêté son concours à d'autres, comme  M. l'abbé Cérès pour ses plans de travaux archéologiques. C'est par exemple M. Arribat qui a dessiné les plans des fouilles de Cadayrac et fait figurer la voie ferrée minière de 110, faisant de ce plan, présenté en détails plus loin, une vraie pépite ! M. Arribat fera fonction d'agent-voyer en chef en fin de carrière. Ses talents de dessinateur sont certains : on lui doit, par exemple, cet essai de restitution de l'amphithéâtre de Rodez, en appui de la communication de Cérès.


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RAPPORT à la Société sur des thermes et un cimetière gallo-romains découverts à Rodez,

M. l’abbé CÉRÈS, Mémoires SLSA Aveyron, tome 11, 1874-1878- Dessin Arribat

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Les imprimeurs

 

            Baptiste Lacaze fait appel aux ressources locales, Louis Loup imprimeur-lithographe à Rodez pour les cartes cantonales, et Rivière à Toulouse pour la carte d'assemblage départementale de 1862. Boisse, géologue connu de tous les aveyronnais, avait confié l'impression d'une de ses cartes, ci-dessous,  à Loup.

B. Romain utilisera les services de Thierry Frères à Paris pour ses cartes. Cet imprimeur parisien est particulièrement important : médaille d'argent aux expositions de 1839, 1844 et 1849, il exploite 25 presses lithographiques, 20 presses en taille-douce et emploie 70 ouvriers. (in notice Ecole des Chartes)

L'impression est de qualité dans les deux cas, même si au premier regard, les cartes Lacaze semblent plus "artisanales".

carte

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Sur cette carte de Boisse, qui accompagne un rapport de l'ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées (janvier 1865) relatif à la création de routes agricoles, les deux voies ferrées minières du causse sont bien visibles : à Mondalazac, il aurait cependant  été préférable -et plus exact- de noter Cadayrac, et d''utiliser un dessin nettement différent pour distinguer voie normale et voie minière.

Le dessin de la voie de Cadayrac, repris de la feuille Romain, est symbolique, et fort éloigné de la réalité, mais cette carte n'a pas de but ferroviaire !

La carte est très agréablement lithographiée par Louis Loup à Rodez.

 

 

 

 

 loup

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Les Préfets

 

            Si la carte départementale de Lacaze est dédiée à Monsieur Boby de la Chapelle (Alphonse Charles), préfet, celui-ci n'est pas une pièce essentielle du jeu. En effet il fut nommé le 22 janvier 1862, donc à l'époque même de la parution et n'a pas eu un rôle majeur dans l'élaboration de ce travail. Les réflexions sur l'élaboration des cartes débutent en 1844, M. de Guizard, natif de Villecomtal, est alors préfet. Il y aura ensuite dix titulaires de la fonction avant M. de la Chapelle. On évoquera encore l'Atlas en 1887 au Conseil Général. C'est donc sur près d'un demi-siècle que élus et administrateurs vont débattre sur cet ouvrage. La période de réflexion menant à la parution s'étend de 1844 à 1860. L'Atlas portera prudemment la mention sous les auspices de l'Administration

            Monsieur Demonts fut en poste de 1857 à 1862 et a donc été essentiel dans la genèse des cartes Romain. On peut évidemment penser que c'est avec bienveillance qu'il a suivi le travail de Romain, très présent dans les sphères administratives de Rodez. Ce préfet est aussi celui qui a suivi  le travail de Lacaze. Il a peut-être regretté ce doublon et les difficultés qui vont assez rapidement se faire jour, difficultés qui amèneront  nos deux auteurs à demander justice au tribunal…

 

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          Les objectifs de l'Atlas et de la grande carte et semble-t-il les moyens ne sont pas les mêmes, ces derniers étant apparemment plus modestes pour l'Atlas. Il est vrai que les formations des auteurs sont différentes. MM. Lacaze et Clergue ont été employés du cadastre. La mention portée sur les cartes, anciens employés du Cadastre est exacte : à l'époque de la création de l'Atlas, ils n'étaient plus dans le service. M. Romain était agent-voyer au service du Département, on dirait aujourd'hui ingénieur. Il est agent-voyer en chef en poste à Rodez, au moment de la publication de la carte. Les formations, fonctions et activité technique des auteurs expliquent sans doute les différences visibles dans le résultat cartographique. Le graphisme est également très différent. Le caractère de l'Atlas apparaît au premier abord un peu "dépouillé", alors que la carte Romain se montre parfois très copieuse, au risque d'être difficilement lisible.

 

            L'Aveyron, comme les autres départements, n'est pas dépourvu vers 1850 de documents. Il y a par exemple le cadastre, registre descriptif des terres et des propriétés bâties. La finalité du document est connue : le cadastre n'a donc plus d'autre but que d'arriver à la répartition du contingent communal entre les contribuables de la commune. Le cadastre consiste en opérations d'art, géométriques et graphiques, qui servent à déterminer la contenance de chaque parcelle de propriétés et, en travaux d'expertise qui ont pour but d'évaluer le revenu imposable de chaque parcelle. (Dictionnaire général d'administration, A. Blanche, 1844). Ces précisions permettent d'imaginer le travail quotidien de MM Lacaze et Clergue, auteurs de l'Atlas, opérations d'art et travaux d'expertise pour l'établissement des cartes communales. En parallèle, à la même époque, M. Romain gérait des problèmes techniques d'aménagement du territoire et de voirie, au plus près des élus. Les préoccupations professionnelles des auteurs sont donc très différentes, mais chacun est au contact du terrain, soit pour l'aménager et le gérer, soit pour en fixer le revenu.

 

            Pour la suite de cette analyse, nous n'évoquerons que M. Lacaze et M. Romain comme auteurs. Mais M. Clergue ne mérite évidemment aucun oubli, pas plus que M. Arribat qui fut le dessinateur de Romain.

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 Journal de l'Aveyron

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Quelques éléments de chronologie

 

            En 1844, le Conseil Général de l'Aveyron (CGA) constate qu'il reste 2,512 fr. 94 au compte 1843 du budget cadastral. Il autorise M. le Préfet à l'appliquer à la confection d'un grand atlas départemental, contenant la carte du département, les cinq cartes d'arrondissement et les quarante-deux cartes de canton, et dont il serait fait trois exemplaires  : l'un pour être déposé aux archives, un second pour le bureau des contributions, et un troisième pour le bureau des travaux publics…(RD, CGA, 1844); C'est la première apparition de l'Atlas dans les préoccupations des élus. En 1845 le CGA vote une dépense de 1,200 fr. La dépense totale avait été estimée à 3,780 fr. En 1846, on constate que l'estimatif, suite à une erreur, est insuffisant. cependant, les géomètres chargés de la réalisation, MM Lacaze et Clergue, continuent de s'en occuper avec le même soin. Dans son rapport le Préfet propose de leur allouer, à titre de gratification, une somme capable de les indemniser. Cette demande reprend la proposition du Directeur des Contributions. Il ajoute que les auteurs sont disposés, vu les chances incertaines de l'entreprise, à renoncer à la faculté qui leur a été accordée de faire lithographier les cartes pour les livrer au commerce. (Rapport délibérations, CGA 1846). Dans sa réponse, le Président, en bon gestionnaire, demande d'attendre que le travail soit complètement terminé…et convenablement apprécié. Il ajoutera l'alternative entre cette gratification ou un arrangement pour que la reproduction des cartes leur assure un bénéfice suffisant.

En 1847, un nouveau crédit de 600 fr. est alloué pour le budget 1848. La gratification est toujours évoquée, mais aucune décision n'est prise. On attend de voir !

 

Les prévisions budgétaires avaient fait l'objet du tableau suivant :



devis

 

Rapport délibérations, Conseil Général Aveyron 1846

 

            Concernant ces débuts de réflexion, l'initiative de l'Atlas semble donc venir de l'administration, de la direction des contributions. Mais on ne peut exclure que Lacaze et Clergue, employés de ce même service, aient pris cette initiative, relayée ensuite au CGA pour financement. On constate ensuite que le travail n'est pas réalisé dans le cadre normal administratif, mais certainement en dehors, au moins en partie, de leurs obligations de service. Dans le cas contraire, il serait difficile de comprendre la proposition d'un bénéfice suffisant pour les auteurs. C'est d'ailleurs ce que sous entend le CGA lorsqu'il répond au Préfet qu'il est d'accord de procurer à ceux qui sont chargés de la confection de cet atlas une rétribution proportionnée au temps qu'ils y auront employé et au degré de perfection qu'ils auront atteint. (RD CGA, 1847). Ces premiers éléments seront plus tard sources de difficultés : qui est le véritable propriétaire de l'Atlas ? Le Département, au vu du financement ? Les auteurs avec la possibilité de commercialiser eux-mêmes les cartes ? Dans tous les cas il faudra s'entendre !

            Afin d'avoir un ordre de grandeur de la relativité des sommes en jeu, précisons qu'un agent-voyer d'arrondissement perçoit un salaire annuel de 1700 francs en 1858.

            En 1848, il y a des avancées certaines. Le directeur des contributions directes a remis à la préfecture la minute de la carte du département, et les trois copies des cartes d'arrondissement et de canton. Ce fonctionnaire souligne l'insuffisance de rémunération des auteurs suite au crédit alloué de 3,780 fr., insuffisant. En séance, il met sous les yeux du CGA un exemplaire complet de l'Atlas et propose une gratification de 300 fr. (à se partager ? ). Il met quelques conditions à ce versement, comme la remise des trois copies de la carte du département, la mise en couleurs par des teintes spéciales, des bois domaniaux et communaux et la rectification des erreurs remarquées. Il ajoute enfin la condition qui sera demandée aux auteurs de renoncer à l'autorisation de faire lithographier tout ou partie de ce travail et de rendre au département la faculté de le reproduire par cette voie. Cette dernière remarque montre la prudence du fonctionnaire qui devine peut-être les litiges à venir.

 

            1849 sera l'année cruciale : l'Atlas est prêt, mais qui finance la publication ? Le Conseil général ou les auteurs ?

            Un Atlas de cartes géométriques par cantons et arrondissemens, pour le département, est apporté devant le Conseil. Le rapporteur de la commission des finances propose l'acquisition de 50 exemplaires de ce beau travail. Il y a un mais de taille : les 50 exemplaires sont payés 30 fr. l'un, ce qui donne 1500 fr, bien éloigné du  coût estimé par les auteurs à 15,000 fr. !

            Le 30 novembre 1848 le CGA avait le regret de ne pouvoir verser la gratification de 300 fr. aux auteurs, par suite de l'insuffisance des fonds. Un traité est projeté avec un imprimeur. Mais on constatera en 1849 que ce projet n'est plus d'actualité car les auteurs ne veulent pas renoncer à leur propriété et souhaitent eux-mêmes assurer la reproduction des cartes. Lacaze (sans doute) a même pris contact avec un imprimeur-lithographe aveyronnais, Carles, installé à Paris. Les 500 exemplaires reviendraient à 15,340 fr., soit 30fr. 68 c par exemplaire. Il est inutile de préciser que ni Lacaze, ni Clergue n'ont la possibilité d'avancer les fonds. La solution envisagée repose donc sur l'engagement du CGA pour 50 exemplaires, et une souscription publique. Ce sera finalement Louis Loup, imprimeur-lithographe à Rodez qui fera l'impression.

 

            En 1850 le Préfet propose au CGA de compléter l'engagement de 300 fr., la gratification, par un complément de 220 fr., justifié par la difficulté du travail supplémentaire demandé par les élus, le coloriage.

            L'année 1851 n'apporte rien de nouveau, hors la mention d'un atlas au 1/20.000 des chemins de grande communication et celui des chemins de moyenne communication, opération distincte des travaux de Lacaze et Clergue.

 

            Nous sautons quelques années pour l'année 1860. Le rapport et les délibérations du CGA de cette année 1860 sont précis. Le chapitre budgétaire Encouragements et secours est concerné.

            M. Lacaze, auteur de l'atlas auquel vous avez, l'année dernière, accordé, pour 50 exemplaires, une subvention de 2,000 fr. payable en quatre annuités de 500 fr., vous remet des exemplaires de son travail dont le mérite sera très certainement apprécié par vous….Il a enrichi son ouvrage en y traçant le plan des chefs-lieux d'arrondissement et en y représentant, en dehors du périmètre de chaque feuille cantonnale, soit les routes et chemins de grande ou moyenne communication, soit les villes et principales localités qui se trouvent dans le voisinage. Ces ajouts de Lacaze sont effectivement bien perçus et particulièrement utiles.

            Lacaze, sans rien réclamer…compte sur vos sentiments de bienveillance pour obtenir un dédommagement pour l'excédant de dépenses que lui cause le perfectionnement…Ce rapport de 1860 précise que le total des souscriptions est voisin de 150. Il y a donc près de 200 exemplaires de l'Atlas cantonal probablement vendus en 1860. M. Lacaze, contre dédommagement bien sûr, est invité à faire relier les 50 exemplaires destinés au département. Un crédit est proposé, ainsi qu'une subvention de 1,000 fr., prenant la suite des quatre subventions précédentes. Le rapporteur des finances obtiendra finalement le vote d'un crédit de 500 fr. et à titre de gratification un supplément d'indemnité de 500 fr.

            Cette même année 1860, le CGA vote également 800 fr. pour l'élaboration de la carte départementale, celle de Romain, agent-voyer.

 

            Dans son rapport de la session de 1861, le Préfet se félicite de cette carte départementale de l'agent-voyer en chef. Elle rendra de grands services, comme l'Atlas cantonal précise-t-il… Comme M. Lacaze a tenu plus qu'il n'avait promis, le préfet demande d'augmenter la contribution du département à 3,000 fr. L'avis favorable de la commission des finances permet cette augmentation. Pour sa part M. Romain reçoit une indemnité de 800 fr. pour sa carte départementale, montant d'une annuité. En 1862, M. Lacaze reçoit sa dernière annuité de 1,000 fr., et M. Romain de 800 fr., dernière annuité également.

 

            Cette étape de notre analyse marque la fin de la genèse et de la fabrication de l'Atlas, de 1844 à 1862. L'Atlas cantonal, achevé vers 1850, et imprimé par Loup à Rodez vers 1860, est donc une initiative privée, celle de MM. Lacaze et Clergue, suivant une éventuelle proposition du Directeur des contributions. Soutenue par l'administration et par les élus, ce sera toutefois une opération ruineuse pour les auteurs, modestes employés du cadastre. Année après année, M. Lacaze n'aura d'autre objectif que de trouver souscripteurs et subventions. Ces difficultés ne sont pas insurmontables, mais difficiles à vaincre, comme en témoignent les demandes de subventions de l'auteur au Conseil général.

        Une toute autre difficulté se fait jour en 1862 pour M. Lacaze, qui va devoir quitter son pantographe pour rencontrer son avocat ! La carte de Bernard Romain, la grande carte du département en feuilles comme il est dit à l'époque est parue. Et Baptiste Lacaze va avoir matière à montrer plus que du mécontentement devant ce concurrent absolument pas prévu en 1844. M. Romain lui vole-t-il subventions et autres faveurs ? A-t-il de plus plagié le travail de Lacaze en dessinant sa propre carte ? Nous allons quitter les salons feutrés de la Préfecture, les salles de réunion du Conseil Général, pour d'autres salles, plus austères sans doute, celles des palais de justice. Auparavant, faisons une pause pour un point de détail.


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Cartes et représentations, une réalité ?

 

            Actuellement la confiance dans les données cartographiques est totale. Mesurer par exemple une distance sur une carte ne pose aucun problème, et surtout pas celui de l'erreur possible. La question ne vient d'ailleurs pas spontanément à l'esprit : en deux clics de souris un chiffre apparaît, mais non l'incertitude sur le résultat… A l'occasion d'un travail sur la position exacte de Carentomagus, station gallo-romaine, E. Marre analyse très finement les données cartographiques de son temps. Il donne un exemple très imagé de la relativité des sources graphiques en comparant Cassini, Lacaze et Romain sur l'itinéraire de Rodez à Villefranche. Les différences ne sont pas particulièrement insignifiantes…Curieusement les distances mesurées sur la  carte dite Etat-Major sont toujours systématiquement plus fortes…


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E. Marre, in Mémoires SLSA, 1912, tome 18, p. 559 sqq.

 

La Carte administrative du département de l'Aveyron  - de Romain- au 1/50.000 précise Marre, a été établie par feuilles en 1860 d'après les travaux géodésiques exécutés par les officiers d'état-major. Mais la différence, assez inexplicable donc, entre la carte d'Etat-Major et Romain dépasse allègrement les 10 %...Pour sa part l'Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, consulté par l'auteur en 1912, donnera la distance de 54.200 m. Ce détail est important quand on analyse les cartes de l'Atlas pour les comparer aux feuilles de Romain. Il est tout aussi important de remarquer que le collage d'une carte avec sa voisine peut révéler pour l'Atlas des dessins différents des contours aux limites cantonales et donc un raccord absolument parfait est absolument illusoire. Soyons juste, il en est de même avec les feuilles de Romain, dont les raccords peuvent également se révéler problématiques.

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Le raccord de deux cartes cantonales est acceptable.







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Diffusion de l'Atlas cantonal, demi-succès ou demi-échec ?


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Journal de l'Aveyron, 1875

               Réaliser et dessiner l'Atlas a été pour Baptiste Lacaze un travail important. Mais le plus important est de le diffuser, souci constant chez tout auteur, et sans doute essentiel ici pour l'impécunieux brigadier des forêts. Une fois obtenue la diffusion par le Conseil Général des premiers exemplaires auprès des cantons, Lacaze va se manifester auprès des élus, pour deux éléments différents. Le premier, évoqué ci-dessous concerne la propriété de l'Atlas, point important pour Lacaze qui en 1864 se retrouve dans une action judiciaire contre Romain. Le deuxième concerne les efforts de réduction de prix que Lacaze va consentir aux communes pour écouler quelques centaines d'exemplaires, avec le soutien du Conseil Général et sa subvention aux communes concernées.

  

    En 1864, le rapporteur du CGA aux intérêts généraux présente un rapport très différent des précédents : Rapport sur une demande en interprétation de délibérations du Conseil Général, par le sieur Baptiste Lacaze, auteur de l'Atlas départemental et cantonnal du département de l'Aveyron. On devine un problème de droit...

            La question est simple : qui est propriétaire de l'Atlas, les dessinateurs ou le département ? Il est d'abord rappelé qu'en 1845 le traité intervenu entre le directeur des contributions directes et les géomètres concéda à ces employés la faculté de faire graver ou lithographier à leurs frais pour en livrer des exemplaires au commerce. Autorisés à publier, les auteurs n'ont pas par la suite abandonné cette disposition et le CGA a acquis pour son compte 50 exemplaires de l'ouvrage. Le CGA a donc pleinement reconnu le caractère privatif de l'Atlas.

             En souscrivant ensuite en 1858 quatre-vingt exemplaires de la carte départementale de M. Romain avec un crédit de 4000 fr., payable en cinq annuités de 800 fr., le CGA n'a pas voulu méconnaître le droit conféré aux dessinateurs de l'Atlas. On apprend donc qu'une contestation existe entre MM. Lacaze et Romain sur des emprunts ou plagiats. Même si l'intervention du CGA dans une affaire privée en instance de jugement est délicate, position soutenue par plusieurs membres, le CGA adopte les conclusions du rapporteur suivant lesquelles le Conseil avait toujours entendu soutenir deux publications différentes, mais également utiles, et que, surtout, il n'avait jamais eu la pensée de méconnaître ou de révoquer le droit privatif concédé en 1845 aux dessinateurs de l'Atlas. La situation est donc pour M. Lacaze parfaitement claire, il est bien le propriétaire et l'auteur de l'Atlas. La diffusion lui appartient. Nous évoquerons plus loin le litige Lacaze-Romain.

 

            En 1865, M. Lacaze réduit le prix de l'Atlas de 50 fr. à 40 fr. et accepte un paiement en plusieurs annuités par les communes. Le CGA va prendre à sa charge la moitié de la dépense par les communes qui voteraient l'achat. Cet effort de diffusion est confirmé par la suite, en 1866 par exemple, avec un montant de 500 fr., crédit intégralement dépensé pour 25 premières communes. D'autres communes se manifestent, une trentaine. Le succès est tel que le CGA ouvre en 1869 un crédit sous le titre de Dépenses imprévues. En 1872 M. Lacaze, qui possède encore quelques exemplaires de l'Atlas propose de le céder au CGA pour 30 fr. Le Conseil achète un exemplaire et chaque feuille sera remise au conseiller correspondant.

 

            En 1874, il reste 100 exemplaires disponibles chez M. Lacaze, qui diminue le prix pour les communes à 30 fr. En 1877 le CGA offre ainsi un exemplaire Aveyron à la Marne à titre d'échange. En 1878, le prix proposé aux communes par M. Lacaze est de 10 fr. ( ! ) : la généreuse intention sera portée au Recueil des actes administratifs pour encourager les communes. 70 vont profiter de l'offre, c'est-à-dire un Atlas de 30 fr. pour 10 fr. puisque le CGA verse ensuite 20 fr. à l'auteur. L'Atlas est utile : on le modifie régulièrement en ajoutant les travaux exécutés sur les routes et chemins vicinaux. Il en est de même pour la carte Romain. Ces documents modifiés sont présentés au CGA.

            En 1880 le prix de l'Atlas pose problème : quelle somme le CGA doit-il voter depuis la réduction de prix  de 1878 ? Quel chiffre convient-il de promettre aux communes ? 56 communes ont bénéficié du prix de 10 francs avec versement de 20 francs par le CGA à l'auteur. Le CGA prend acte de la situation, mais pour les nouvelles demandes décidera ultérieurement, s'il y a lieu, de faire bénéficier ces communes de l'allocation de 20 fr. , votée en 1865…

            En 1883, suivant ces dispositions, M. Lacaze demande au CGA le paiement de 520 fr. pour la livraison à 25 communes de 26 exemplaires. Le CGA va alors rejeter la demande, en remarquant que M. Lacaze aurait dû attendre la décision préalable de consentement du Conseil. Les difficultés à équilibrer le budget sont également avancées.

 

            La fin de la partie sera sifflée en 1884. M. Lacaze demande suite à l'échec de 1883 une subvention de 500 fr. La commission des finances, qui sera suivie par le CGA, propose d'accorder à titre gracieux à cet employé, en considération des services qu'il a rendus par la publication de son ouvrage, une somme de 200 fr. Il est bien entendu que cette allocation doit être la dernière, et que M. Lacaze recevra de l'administration l'ordre formel de cesser toute fourniture, le département n'entendant prendre à sa charge, sous quelque prétexte que ce soit, aucune subvention ultérieure. (RD, 24 avril 1884).

            En 1887, très obstiné, M. Lacaze demande à nouveau 300 fr. suite à la fourniture de quinze exemplaires à des communes. Une discussion entre membres du Conseil donne l'occasion à la fois de rappeler les décisions précédentes dont celle de 1880, plus de fourniture, et la situation précaire de M. Lacaze. Finalement il obtient gain de cause...Un geste sympathique du Conseil.

 

            L'Atlas cantonal suit donc sa vie de publication avec finalement un certain succès, même si les chiffres de vente ne sont pas extraordinaires. En 1887, M. Dencède, imprimeur-éditeur à Paris sollicite la faveur de publier l'Atlas cantonal du département. Il s'adresse (curieusement) au Conseil général pour une somme de 38,700 francs, permettant de livrer 500 exemplaires de chaque canton. La demande sera rejetée.

 

            1887 sera la dernière année d'évocation de l'Atlas cantonnal de MM. Lacaze et Clergue au Conseil Général de l'Aveyron. Quarante-trois ans au chevet de cet ouvrage que le CGA aura finalement soutenu avec beaucoup d'attention, et plus de 4,000 francs de crédits.


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Le 10 janvier 1863, le Journal de Villefranche annonce la publication de la carte départementale de l'Aveyron par Lacaze, complément de l'Atlas cantonal. Le litige qui oppose Lacaze et Romain est alors dans l'actualité aveyronnaise...

 


 

 

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